HISTOIRES, BLAGUES ET LÉGENDES
Dans diverses traditions les instructeurs, maîtres spirituels ou religieux, utilisent des histoires des légendes et des blagues pour faire comprendre certaines vérités à leurs disciples. Certaines de ces histoires-enseignement sont parvenues jusqu'à nous. En voici quelques unes. Au lecteur d'en saisir la signification profonde

 
PAUVRE COBRA !  IL FAIT PLUS CLAIR ICI LES VALISES   LES FRAISES EN HIVER   LA PATIENCE DE HILLEL  LE MOINE SCULPTEUR L'ODEUR ET LE SON   LES TRIBULATIONS D'UN GYMNOSOPHE   DRUKPA KUNLEY ET LA CONFESSION DES MOINES   MIRACLE LA COLÈRE  LES FRUITS DU PARADIS
LE RÊVE DE TCHOUANG TSEU  L'AVEUGLE ET LA NEIGE
PAUVRE COBRA !
Il y avait une fois un cobra qui vivait dans un champ où il semait la terreur, attaquant et mordant toute personne qui osait traverser son domaine.

Vint un jour à passer un savant yogi qui, grâce à la puissance de son mantra, put tenir le serpent à distance. Il en profita pour lui enseigner la non-violence et lui expliqua que tous les êtres étant comme lui d'essence divine il devait respecter la vie. Comme il voyait que le cobra était convaincu et n'attaquerait désormais plus personne, le yogi passa son chemin. Les hasards de ses pérégrinations ramenèrent un jour notre Sage dans les parages du champ où vivait le cobra et, qu'est-ce qu'il y découvrit ? Un pauvre serpent tout efflanqué, plein de plaies, l'œil terne et la mine morose.

– Que t'est-il arrivé ? demanda-t-il.

– Comme tu m'avais enseigné la non-violence, je me suis scrupuleusement abstenu de mordre les passants. Pendant un certain temps ils faisaient encore un détour pour ne pas traverser mon champ. Puis bientôt il se sont aperçus que je n'étais plus dangereux, alors ils ont pris l'habitude de couper au court par ici, puis certains ont commencé par me donner des coups de bâton, ensuite ils se sont mis à me lancer des pierres et finalement ils ont réussi à me mettre dans le triste état où tu me vois.

– Imbécile, reprend le Yogi, je t'avais interdit de mordre mais pas de siffler !

IL FAIT PLUS CLAIR ICI
Quelqu'un vit, un soir de pleine lune, Mulla Nasrudin qui cherchait quelque chose sur le sol :

– Qu'as-tu perdu Mulla ?

– Ma clé, dit le Mulla. Il se mirent alors tous :les deux à genoux

– Mais, au fait es-tu sûr de l'avoir laissé tomber ici ?

– Non, mais dans ma maison .

– Alors, pourquoi est-ce ici que tu la cherches ?

– Il fait bien plus clair ici que dans ma maison !

***
Cette blague qui est une des " Histoires Enseignement " que les Maîtres Soufis racontent depuis le Moyen Âge pour ouvrir l'esprit de leurs disciples est parvenue jusqu'à nous sous une autre forme : il n'est pas question de Mulla Nasredin mais d'un ivrogne qui cherche sa clé sous un réverbère. Mais, même si ceux qui la racontent en ignorent le sens ésotérique, l'enseignement qu'elle contient y est encore présent : Chacun de nous, très souvent éprouve le besoin d'aller chercher ailleurs une vérité que nous avons sous les yeux mais que nous ne voulons pas voir.
LES VALISES
Il était une fois un homme qui, de toute sa vie, n'avait jamais fait que de bonnes actions : il n'avait jamais manqué à la Charité, il ignorait aussi bien le mensonge que la médisance, encore bien moins aurait-il calomnié son prochain, sa générosité était légendaire, s'emparer du bien ou de la femme d'autrui ne lui était jamais arrivé. Un type parfait vous dis-je.

À sa mort, cela va de soi, il monte tout droit au paradis, à la porte (parait-il, étroite) duquel l'attendait Monsieur Saint Pierre en personne :

– Entrez mon brave, je vous en prie, lui dit le Saint Gardien de l'Eden. Malgré cette invite amicale, malgré la somme des bonnes actions de toute une existence, notre homme ne parvenait pas à passer par la porte étroite. Il avait mis toutes ses actions méritoires dans deux grosses valises qu'il s'obstinait à ne pas vouloir lâcher.
 
 
 

Comment entrer au paradis avec deux valises
LES FRAISES EN HIVER
Il y avait dans un petit "schteytl" de Pologne un Rabbin qui était si sage que l'on venait de partout pour le consulter. Au point que monsieur Rothchild lui même avait entendu parler de lui et l'avait invité à dîner pour Hanouka fête qui, comme chacun sait, se trouve en hiver.

Monsieur Rothchild avait bien fait les choses, la table était recouverte d'une magnifique nappe brodée, les assiettes étaient de fine porcelaine, les verre de cristal de Bohème et les couverts de vermeil.

Le gefilte fisch était délicieux et au dessert, comble de raffinement, il y avait des fraises. Pas impressionné pour un zloti notre Rabbin dégustait ses fraises. Monsieur Rothchild lui dit :

– " Tu vois ce que tu mange rebbe ? "

– " Bien oui, ce sont des fraises "

– " Et en plein hiver, ça ne t'étonne pas ? "

– " Oh ! tu sais Monsieur Rothchild, chez moi, dans mon village, il y en a déjà au mois de juin " Retour à Edito

LA PATIENCE DE HILLEL
La patience et la longanimité de Hillel étaient proverbiales. Jamais on n'avait vu ce savant Docteur de la Loi se mettre en colère et on affirmait que personne ne serait capable de l'irriter Au cours d'une conversation au café, Yakubovitch paria avec Rosenbaum que, lui, il parviendrait à le faire sortir de ses gonds.

Afin de mener son projet à bien Yakubovitch choisit un après midi de vendredi sachant bien que Rabbi Hillel serait particulièrement occupé par les préparatifs de Shabbat. Le Rabbin venait à peine de commencer à faire sa toilette lorsqu'il entendit une voix particulièrement désagréable qui criait :

– " Est-ce que Hillel est chez lui ? " Or Hillel étant Nassi, c'est à dire au plus haut niveau de la hiérarchie religieuse d'Israël, c'était là une manière spécialement inconvenante pour s'adresser à lui.

Cependant Rabbi Hillel ne se montra nullement offensé de cette impertinence. S'étant enveloppé dans son manteau il pria aimablement le visiteur d'entrer dans sa maison. Ce dernier prétendant avoir une question d'extrême importance à poser au rabbin, lui en posa une tout à fait farfelue concernant un point de détail des Ecritures. Demande à laquelle Hillel répondit avec la plus grande amabilité. Yakubovitch partit alors en claquant la porte sans même avoir pris la peine de dire ni merci ni au revoir. Rabbi Hillel venait à peine de se remettre à sa toilette que Yakubovitch revient sans crier gare et, s'adressant au Rabbin lui dit : Ah ! j'avais oublié, il y a autre chose qui me turlupine, pourrais-tu m'éclairer ? "

– Je te félicite de vouloir t'instruire, répond calmement Rabbi Hillel, je t'en prie pose ta question

Et, c'est une nouvelle demande d'explication sur un point tout à fait secondaire des écritures. Nouveau départ de Yakubovitch, toujours en ne disant ni au revoir ni merci et toujours en claquent la porte.

Le Nassi s'était à peine remis à sa toilette que notre importun refait irruption dans la maison et pose à Hillel une nouvelle question encore plus farfelue que les deux premières et à laquelle le sage Rabbin répond, toujours avec la même gentillesse, après avoir complimenté son visiteur pour sa soif de savoir.

Décontenancé, Yakubovitch s'écrie :

– J'ai encore des tas de questions à te poser, il faut que tu me répondes immédiatement.

– Comme tu voudras mon frère, lui répond Hillel, je suis heureux de ton désir de savoir, je ferai de mon mieux pour t'éclairer.

– Es-tu bien Hillel le Nassi ? Car c'est à lui et à aucun autre que je veux parler,

– Oui mon ami, je suis Hillel.

– Eh bien, reprend le visiteur, qui perdait patience, si tu es Hillel, je souhaite qu'il n'y ait pas en Israël beaucoup d'hommes qui te ressemblent,

– Et pourquoi donc ? Demande le Rabbin avec sa sérénité coutumière, t'aurais-je causé quelque dommage ?

– Oui certes, répond Yakubovitch, j'avais parié que je parviendrais à te mettre en colère et tu viens de me faire perdre mon pari ! Hillel ne put s'empêcher de s'esclaffer :

– Ne vaut-il pas mieux que tu aies perdu ton pari que moi même ne tombe en péché de colère en perdant ma patience ?
 

***
(1) Extrait des "Contes de Grand-Père Schlomo" – Lionel Rocheman – Stock Editeur.
LE MOINE SCULPTEUR
Il y avait dans un monastère un moine très doué pour la sculpture. Dans une bûche de pommier (c'est un bois si agréable à travailler et qui sent tellement bon) il avait taillé une magnifique statue de la Vierge Marie, d'une telle beauté, d'une si grande finesse que l'évêque en personne avait tenu à l'en féliciter personnellement.

– Oh ! C'était très facile, répondit modestement le moine, je me suis contenté de retirer ce qui était en trop.

De même, notre vraie nature divine est présente en toute situation : pour la connaître il suffit de retirer tout ce qu'il y a en trop : l'égoïsme, la cupidité, la haine, le mauvais vouloir, les préjugés, la stupidité, etc. etc.

" Mon enseignement est simple, dit Lao Tseu, mais personne ne peut le suivre "

L'ODEUR ET LE SON
Il me revient en mémoire un fabliau du Moyen Âge que j'ai étudié à l'école il y a pas mal d'années :

Un vagabond qui n'avait pour tout viatique qu'un quignon de pain à moitié sec, passant devant la boutique d'un rôtisseur, eu l'idée de s'arrêter a proximité pour le manger de manière à profiter, tout en mastiquant son croûton, de l'appétissante odeur des viandes en train de cuire.

Cela déplut fort au maître des lieux qui prétendit faire payer au vagabond le fumet de ses rôtis. Celui-ci refusa alléguant que, de toute manière, les vapeurs de la cuisine s'évanouissaient dans l'atmosphère et se trouvaient ainsi perdues pour tout le monde .

La querelle s'envenimant on alla chercher un juge réputé pour sa sagesse et son équité (ceci n'est pas précisé dans le fabliau, mais je crois savoir qu'il s'agissait de Monsieur Saint Yves en personne et que c'est la raison pour laquelle il est devenu le Saint Patron des avocats). Après avoir pris connaissance de la cause de la contestation, il demanda au vagabond :

– " As-tu de l'argent ? "

Celui-ci sortit de sa bourse l'unique piécette d'argent qu'elle contenait.

Le juge la prend la fait sonner sur le pas de la porte du rôtisseur et lui dit :

– " Il a assaisonné son pain du parfum de ta viande, sois payé du son de sa pièce " et il rendit l'argent à son propriétaire.

***
Lisant récemment un recueil d 'anciens contes persans j'eus la surprise de constater que ce fabliau se trouve être l'exacte réplique d'une de ces " Histoires Enseignements " fréquemment utilisées par les Maîtres Soufis pour éclairer l'esprit de leurs disciples.

Son but est de nous montrer que l'Absolu – en dehors duquel rien n'existe, sinon il ne serait pas l'Absolu – peut se manifester avec différents niveaux de réalité, de plus en plus subtiles (en partant du domaine de la matérialité ou nous nous situons) et qui ne doivent pas être confondus. La manifestation subtile des rôtis, leur odeur, ne peut être payée que par celle de l'argent : le son de la pièce.

C'est là un important rappel à ceux qui ont tendance a confondre le domaine du psychisme avec celui de la spiritualité.

LES TRIBULATIONS D'UN GYMNOSOPHE
Gymnosophe (sage nu) : c'est ainsi que les grecs vraisemblablement de retour des conquêtes d'Alexandre nommaient les Yogi nus qu'ils avaient rencontrés en Inde.

Or donc, il y avait une fois un gymnosophe, un "sage vêtu d'espace" – ou "des quatre points cardinaux" comme on dit parait-il au Tibet (1) – qui vivait tout nu, comme son nom l'indique dans un bois de manguiers. Il avait installé le coussin d'herbe "kusha" ( il parait que cette herbe est indispensable) sur lequel il s'assaillait – en lotus, ça va de soi – pour méditer sous le plus bel arbre du bois.

Quand il avait faim il tendait la main et cueillait une mangue qu'il dégustait sans quitter son siège de méditation. Et, comme il fallait de temps en temps un apport de protéines à son frugal régime, il allait au village voisin pour demander l'aumône d'un bol de lait.

Tout alla bien ainsi jusqu'à ce qu'une pudibonde vieille fille du village se récriât que ce n'était pas du tout, mais pas tout convenable que ce beau jeune homme se présente au village dans le plus simple appareil.

Le conseil des anciens convoqua donc notre yogi et lui tint ce langage :

– " Nous sommes très honorés que tu daignes te déranger pour accepter nos aumônes de lait, mais il y a ici de pures jeune filles que ta nudité choque. Donc, nous te prions d'accepter ce pagne que tu voudras bien porter lorsque tu te présenteras au village ".

A quelque temps de là un riche fermier désireux d'acquérir quelques mérites en vue d'une réincarnation dans quelque paradis – il en existe de différents niveaux – eut l'idée d'offrir au yogi une vache pour lui éviter d'avoir à quitter son bois de manguiers. Il pourrait ainsi avoir du lait tous les jours sans avoir se déplacer.

Mais la vache étant d'humeur vagabonde, quand le yogi voulait la traire, il lui fallait la chercher partout avant de pouvoir savourer son lait. Ce que voyant, les habitants du village lui conseillèrent de construire un enclos. Travail auquel s'attaqua avec courage. Puis les villageois lui dirent :

– " Pourquoi continues-tu à vivre dehors, on est quand même mieux dans une maison " et, toujours afin de d'acquérir des mérites, ils se mirent tous à l'aider à construire sa demeure, flanquée d'une étable pour la vache.

Avec tout cela, notre yogi ne trouva plus un instant pour méditer, il était devenu fermier, sans cesse occupé à faire la lessive de ses pagnes (de généreux donateurs lui en avaient offert d'autres) à entretenir et ranger sa maison, mener sa vache au pré, aller la rechercher, la traire, cuisiner, etc.

* * *
Ainsi sommes nous tous, nous nous laissons dévorer par des tas d'occupations que l'on pourrait considérer comme futiles puisqu'elles n'ont rien à voir avec la recherche spirituelle.

De temps à autre on trouve un petit quart d'heure par-ci, une petite demi-heure par-là pour méditer ou prier, au mieux nous trouvons quelques jours dans l'année pour aller assister à des stages de méditation ou des retraites de prière. À ce rythme on n'avance guère mais on se dit :

– " A la retraite, je me rattraperai ". C'est ignorer qu'il n'y a pas plus occupé qu'un retraité.

Alors que faire ? Toujours la recette tantrique, transformer le poison en nectar :

– Si notre voie est non-déiste, nous pouvons essayer de pratiquer "Karma Yoga" c'est à dire effectuer l'action pour l'action en se désintéressant autant que possible de ses fruits. Nous efforcer d'être pleinement, totalement, présent dans ce que nous faisons. C'est le genre de " méditation active " pratiquée dans les "seshin" Zen sous le nom de Samu. (Prononcer Samou, ça n'a rien à voir avec les secours d'urgence ! Encore que... pratiqué de cette manière cela en améliorerait encore l'efficacité)

– Nous pouvons avoir adopté la voie de la dévotion : "Bakti Yoga" dans ce cas nous pouvons offrir toutes nos actions, même les plus humbles à Dieu – si nous sommes Chrétien ou à notre

"Ishta Dévata" (yidam en tibétain : divinité tutélaire ) si nous suivons une voie orientale.

L'important c'est de ne pas perdre de vue le but que nous nous sommes un jour fixé : ne pas mourir idiot.

* * *
(1)Alexandra David Néel dixit
DRUKPA KUNLEY ET LA CONFESSION DES MOINES
Drugpa Kunley, un grand Yogi tibétain du XIVème siècle visitait un monastère le jour de la confession générale des moines. Après avoir assisté à ladite confession, i1 alla dans la cour du monastère et se mit à danser d'une manière assez inhabituelle : Il contournait soigneusement les petites pierres alors qu'il enjambait joyeusement les plus grosses

– Qu'est-ce donc que cette étrange façon de danser ? lui demanda un moine.

– Elle n'est pas plus bizarre que votre façon de vous confesser, répondit Kunley. Dans le Vinaya, la règle des moines, le Bouddha a précisé qu'il existe des fautes graves et d'autres moins importantes, vous vous êtes plus particulièrement attachés à confesser les secondes alors que vous sembliez ignorer les premières. C'est ce qui a inspiré ma danse.

MIRACLE
- Rebbe, est -ce que tu crois aux miracles ?

- Oui bien sûr;

– Crois-tu que moi, Sarah, épouse de Yakubovitch, tailleur rue des Rosiers, je pourrais faire un miracle ?

– Non, seul l'Éternel notre Dieu, béni soit Son Saint Nom, peut faire des miracles.

– Même un tout petit miracle, tu crois que je ne pourrais pas ?

– Non, non, Sarah, pas possible.

– Pourtant Rebbe, tu sais que si 1' on laisse tomber une tartine de confiture c' est toujours du coté de la confiture qu'elle tombe, et bien moi, Sarah, ce matin en préparant le déjeuner de Moschele, mon fils, j 'ai laissé tomber la tartine et elle est tombée avec la confiture en haut.

– Sarah, ce n' est pas un miracle : tu avais seulement mis la confiture du mauvais côté.

LA COLÈRE
Dans une grotte des contreforts de l'Himalaya vivait un yogi qui ne s'était jamais mis en colère. Or, par suite d'une avalanche, la route conduisant à un pèlerinage célèbre avait été déviée et passait depuis peu à proximité de la grotte qui abritait notre sage. Sachant que le plus beau des dons est celui du Saint Dharma, notre anachorète avait placé non loin de l'entrée de son domicile une pancarte avec écrit : "Ici vit un homme qui ne s'est jamais mis en colère" et parfois, venait un pèlerin qui lui demandait un enseignement sur les moyens de se débarrasser de la funeste tendance à se laisser aller au courroux, car il est dit dans un sermon du Bhagavat (1) qu'un seul instant de colère peut être suffisant pour annuler les mérites accumulés pendant des années de bonnes actions. Alors le sage yogi, patiemment, expliquait combien il est important de garder en toutes circonstances le contrôle de son mental. Il expliquait des modes de respirations relaxantes, selon lui, capables d'enrayer instantanément tout commencement d'irritation. Jusqu'au jour où sa réputation devint telle qu'il y eu de plus en plus de pèlerins à venir solliciter ses enseignements.

Aux premiers il répondit patiemment, avec la plus grande gentillesse, puis dès qu'ils partaient, il reprenait le cours de la méditation interrompue par leur visite.

Les suivants furent reçus avec courtoisie mais avec un peu moins de patience. Et ainsi toute la journée à chaque fois que le yogi croyait pouvoir revenir à sa pratique méditative se présentait un nouveau solliciteur : "Swamiji,(2) ayez la bonté de m'enseigner comment il faut faire pour ne plus jamais me laisser emporter par la colère ".

Et il fallait recommencer le même discours en essayant de conserver tout son sang froid. Comme le soir tombait et que le yogi se proposait de préparer son modeste repas arriva encore un voyageur :

– "Swamiji... "

– " Mais non de D... Shiva, allez vous me foutre la paix à la fin ! "

Et voila, seul dans sa grotte depuis des années, loin de tout et de tous avant que l'avalanche conduise à détourner la route du pèlerinage, contre qui aurait-t-il eu l'occasion de se fâcher ?
 

Stage Himalayen dans le frigo
Alors, il est bientôt fini ce stage himalayen ?
(Dessin de Francis Saillart)
(1) Bhagavat Le Bienheureux Seigneur, c'est un des noms donnés au Bouddha Shakyamouni.
(2) Swamiji Appellation respectueuse pour un maître spirituel.
 
* * *
LES FRUITS DU PARADIS
Il était une fois une femme qui avait entendu parler des fruits du Paradis; et elle les convoitait. Cette femme demanda à un Derviche que nous appellerons Sabar :

– " Que dois-je faire pour trouver les fruits du Paradis, afin d'atteindre la connaissance immédiate ?

– " Ce que tu as de mieux à faire répondit le derviche, c'est étudier avec moi. Sinon il te faudra courir le monde, résolument et parfois, dans l'inquiétude et la fièvre. "

Elle le quitta et alla frapper à la porte d'Arif le Connaissant ; puis elle rencontra Hakim le Sage, et Majzoub le Fou, et Alim le Savant, et bien d'autres encore... Elle chercha ainsi pendant trente ans... Un jour enfin, elle entra dans un jardin et vit l'Arbre du Paradis. Ses branches portaient des fruits éclatants. Un homme se tenait auprès de l'Arbre. Elle reconnu Sabar, le derviche.

– "Pourquoi ne m'as tu pas dit, quand je t'ai rencontré, que tu étais le Gardien des fruits du Paradis ?

– " Tu ne m'aurais pas cru alors. D'autre part, sache que l'Arbre ne donne des fruits qu'une fois tous les trente ans et trente jours. "

***
Ce conte derviche, extrait de l'ouvrage " La Sagesse des Idiots " (1) me remet en mémoire une histoire dont, je crois me souvenir on a tiré un film qui devait s'appeler " l'Assassinat du Père Noël ".

Dans un village, quelque part sur la Terre, il y avait un châtelain qui rêvait de conquérir " La Femme Idéale ". Il partit à travers le Monde afin de la découvrir. Il connut des femmes de toutes sortes : des brunes, des blondes, des rousses, des petites, des grandes et même de taille moyenne, des grosses, des maigres, des rouge, des jaunes, des noires, des esquimaudes et même des blanches. Hélas, aucune n'était pour lui La Femme Idéale.

Alors désespéré de jamais la rencontrer il rentra dans son château où il résolut de vivre solitaire. Mais, comme il ne pouvait entretenir seul cette immense bâtisse, il se mit à la recherche de quelque femme de charge pour tenir son ménage. Or il y avait au village un vieux réparateur de poupées que l'on avait surnommé – j'ai oublie pourquoi – le Père Noël et qui avait une fille.

Comme les affaires du réparateur de poupées ne marchaient guère, cette jeune personne avait décidé, pour aider son père, de se placer comme bonne à tout faire. C'est ainsi qu'elle accepta l'emploi qui était proposé au château ou elle se présenta un soir. Dès qu'il la vit, le châtelain eut une révélation : c'était elle qu'il avait cherché de par le monde pendant tant d'années.

L'aurait-il reconnue s'il l'avait rencontrée avant d'entreprendre sa longue et difficile quête en vue de la trouver ?

Les voyages et les livres ont quelque chose en commun : c'est quand on a longtemps voyagé qu'on prend conscience que l'objet de notre quête était là, non pas près de nous mais en nous depuis toujours. De même il faut avoir lu beaucoup de livres pour s'apercevoir que ça ne sert à rien et que nous avons toujours eu la Connaissance : Ce qu'il nous manquait, c'était de savoir que nous l'avions.

* * *
(1) par Idries Shah – Edit. Le Courrier du Livre
LE RÊVE DE TCHOUANG TSEU
Tchouang Tseu a écrit : " Cette nuit j'ai rêvé que j'étais un papillon. Suis-je un homme qui a rêvé être un papillon ou bien un papillon qui rêve en ce moment qu'il est un homme ? "

Aussi étrange que ceci puisse paraître, il n'y a aucun moyen, logiquement irréfutable, de prouver que je suis en ce moment, un homme qui a rêvé être un papillon et non le contraire.

On pourra m'opposer le témoignage des autres. Qui peut prouver qu'ils ne font pas aussi partie de mon rêve de papillon qui croit être un homme ?

Les philosophies de l'Orient insistent sur le caractère illusoire de tout ce qui nous entoure ainsi que de notre propre " Moi ". Cela choque l'occidental qui se veut rationaliste et " cartésien ". Pourtant sommes-nous en mesure de démontrer irréfutablement la " vérité objective " ? J'étais un jour en voiture avec mon épouse dans un embouteillage, devant nous une enseigne lumineuse au néon, je la voyais verte et mon épouse bleue (bon, d'accord elle est bretonne et, en breton c'est le même mot "glas" qui désigne le bleu et le vert; mais là nous parlions français) alors, de quelle couleur était réellement l'enseigne ?

Comment voient par exemple les chats ou les insectes avec leurs yeux de structure tellement différente des nôtres ? La "vérité objective" est-elle ce que je vois ? Un scientifique dira : "facile, il n'y a qu'à faire une simulation" oui mais, à partir de quels critères de vue, les nôtres ? Avons-nous le droit de les prendre pour universels ou absolus ? La Vérité avec un grand V, c'est comme un diamant, chacun ne peut en voir que quelques facettes, suivant le point de vue où il se place. Pour les connaître toutes il faudrait devenir le diamant lui-même. Sortir de la dualité diamant–observateur pour entrer dans l'UNITE. C'est le but de toute recherche métaphysique.

Oui mais, si nous parvenons à devenir le diamant, comment pourrons-nous en faire connaître la vérité à ceux qui sont restés dans la dualité ? En ayant recours à des analogies ou à des symboles, obligatoirement pris dans le contexte socioculturel auquel nous appartenons et qui de ce fait ne pourront être compris que de ceux qui font partie de ce même environnement. C'est ce qui explique que des vérités fondamentales, universelles ont été présentées de façon si différentes par des Sages de races et de cultures différentes au point que leurs paroles nous paraissent contradictoires. Et pourtant, la Vérité est bien UNE mais il existe une indéfinité de manières de l'exprimer : ce sont les différentes facettes du diamant. Pas d'autre solution que de s'efforcer de devenir UN avec le Diamant. À moins qu'on s'en foute, après tout on a bien le droit, alors, no problem on se contente de regarder les jeux télévisés.

L'AVEUGLE ET LA NEIGE
Pour illustrer cette impossibilité qu'il y a à exprimer la Vérité ou l'Absolu avec des mots humains, les Sages de l'Inde utilisent volontiers la parabole des trois aveugles et de l'éléphant :

Trois aveugles s'interrogent sur ce que peut bien être un éléphant. Finalement passe un homme qui, n'étant pas aveugle, les conduit au près du pachyderme afin que, le palpant, ils puissent en avoir une idée.

– J'ai compris dit celui qui touche une patte : un éléphant c est comme un gros pilier;

– Pas du tout ! répond celui qui tâte la trompe, c'est une sorte de serpent ;

– Vous n'avez rien compris dit celui qui avait en main la queue de l'animal, c'est une espèce de corde.

A cette parabole, je préfère la blague juive suivante que raconte le grand-père Schlomo(l) :

Un jour ou il neigeait dru sur le "schteytl" ( un village juif de Pologne) Srulek rendit visite à son ami et voisin C'hlaskl qui était aveugle. C'hlaskl demande à Srulek :

– Dis moi comment c'est la neige ?

– La neige c'est blanc et c'est froid.

– Froid je sais, mais blanc, comment c'est ?

– C'est comme un cygne. Un cygne c'est un oiseau blanc. Ah, bien mais je ne vois toujours pas.

Alors Srulek a une idée de génie : il imite avec son bras et sa main la forme du cou du cygne, prend la main de l'aveugle et lui fait tâter cette imitation approximative de l'oiseau.

– Maintenant j'ai compris, s'écrie l'aveugle ravi, je sais comment c'est la neige.

A quelque jours de là Srulek rencontre un ami qui est allé au Canada et qui lui rapporte que là-bas il a vu des cygnes noirs. " Oÿ, vaÿ ! pense Srulek comment vais-je pouvoir expliquer la neige à C'hlaskl maintenant ?

* * *

(1) Les Contes de Grand-Père Schlomo – Lionel Rocheman – Stock Editeur.
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