HÉRACLITE
Héraclite ( Vème - VIème sciécles avant notre
ère)
Ce philosophe grec, né à Éphèse, ancienne
cité grecque de l'Asie Mineure, affirmait que le feu est la
source primordiale de la matière et que l'Univers entier se trouve
en continuel devenir.
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Héraclite peut être considéré comme l'un des
fondateurs de la métaphysique, même si ses idées proviennent
de l'école ionienne de la philosophie grecque .
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Il posa le feu comme substance primordiale ou principe premier qui, par
condensation et raréfaction, donne naissance aux phénomènes
du monde sensible.
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Il ajouta au concept de "l'Etre" de ses prédécesseurs
celui du "Devenir" ou fluctuation, qu'il tenait pour la réalité
profonde de toutes les choses, même des choses, en apparence, les
plus stables. Pour illustrer ce fait, il affirmait qu'on ne pouvait entrer
deux fois dans la même rivière. En cela, il rejoint les philosophies
orientales, particulièrement celle du Bouddha dont il est approximativement
contemporain.
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En éthique, Héraclite introduisit l'analyse sociale des valeurs,
estimant que la vertu consistait en la subordination de l'individu aux
lois de l'harmonie rationnelle et universelle. Bien que sa pensée
ait été fortement marquée par les croyances populaires,
il attaqua les concepts et les cérémonies de la religion
populaire de son époque.
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Un seul ouvrage, "De la nature", peut être attribué avec certitude
à Héraclite, mais de nombreux fragments de son œuvre furent
préservés par des écrivains postérieurs.
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Le texte que nous proposons ci-après, dans la traduction de Roger
JUDRIN, est tiré d'un petit opuscule publié en 1987 par les
Éditions " Calligrammes" de Quimper.
Nous avons eu jadis en main une traduction présentée
par Shri Aurobindo. Hélas ! elle semble aujourd'hui introuvable.
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AVANT-PROPOS
DU TRADUCTEUR
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C'est un foudre d'orgueil que le sombre Héraclite. On le vit obscur
il n'est que concis. S'il paraît amer, c'est que l'unité de
la matière et celle de l'esprit, telles qu'il les conçoit,
le renvoient à la solitude.
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Car la réalité du monde est fondée sur la contrariété
de ses apparences. La guerre des sexes en produit l'amour. L'histoire des
hommes est le furieux effort de leur harmonie secrète . Il est vrai
que nous parlons du même fleuve, et qu'il a changé l'eau.
Nous voulons embrasser tout ce qui nous échappe. Nous fermons nos
mains sur la fuite du sable. Sommes-nous moins présents dans nos
songes que nous ne sommes absents quand nos yeux sont ouverts, et que nous
avons des puces dans le sang ?
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Les immortels eux-mêmes que reste-t-il ? Zeus, le premier des dieux,
aspire à être unique. Les dévots se flattent-ils de
se blanchir dans la boucherie des sacrificateurs ? Les poètes ont
menti. Il faut fouetter Homère. Hésiode est le prince des
sots qui le récitent.
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Que reste-t-il du déluge des opinions fausses ?
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Il y a le feu inextinguible dont brûlent avec modération la
constance des astres et la sagesse de ceux qui pensent « Où
se cacher du feu qui ne se couche pas ? » - « C'est
moi que j'ai cherché »
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Il y a le bonheur sec où seuls osent atteindre les esprits rares
en qui la simplicité des causes épanouit la prodigieuse diversité
des effets. Einstein n'a-t-il pas espéré de resserrer l'univers
dans une équation ? Ne fut-il pas émerveillé de ce
que les merveilles n'étaient pas incompréhensibles ?
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La physique d'Héraclite, cinq ou six siècles avant le Christ,
ne pouvait que bégayer. Je n'en ai rien gardé. Mais les éclairs
du génie percent les temps.
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En voici la nuit étincelante.
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Je demande au lecteur de deviner l'état des bribes qui, de compilateur
en fripier, de débris en tronçon, parviennent enfin jusqu'à
sa lampe et dans sa langue.
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On connaît le sort des citations et les profanations de la mémoire.
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Je n'avais pour garant qu'un texte grec traduit en latin par Mullachius,
sous les presses, à Paris, de Firmint - Didot, en M CM XXVIII. Mais
pouvons-nous, nous y fier.
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BRIBES
CHOISIES D'HÉRACLITE
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1 - Toujours le mot de Verbe est inintelligible aux hommes non moins après
qu'on leur en a parlé qu'avant. Quoique ce mot décide de
tout, ils semblent étrangers aux propos et aux faits que j'énonce,
quand j'explique et commente la nature de chaque chose. C'est que les autres
hommes se conduisent à leur insu pendant qu'ils veillent, comme
ils font à leur insu pendant qu'il dorment.
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- 2 - Mieux vaut cacher son ignorance, chose malaisée dans le relâche
et la débauche.
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- 3- Ce n'est pas le sentiment de maintes gens qu'on rencontre; ces savants
ignorants se flattent de savoir.
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- 4- Ces gens-là ne savent pas écouter, ni parler.
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-5- Ils écoutent sans entendre et sont pareils aux sourds, à
la fois présents et absents. - 6- Les chiens aboient après
l'homme qu'ils ne connaissent point.
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- 7- Faute d'espérer, vous ne trouverez pas l'inespéré
que vous croirez introuvable et hors de portée.
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- 8- Les chercheurs d'or, remuant beaucoup de terre, y trouvent peu de
métal.
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- 9- La Sibylle, d'une bouche en délire, pousse des clameurs terribles,
rudes et brutales, dont les oracles durent mille ans: le dieu parle en
elle.
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-10- Le Seigneur, dont l'oracle est à Delphes, ne dit rien, ne tait
rien: il révèle.
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-11- L'unique sagesse est seule à vouloir et à ne vouloir
pas être appelée du nom de Zeus.
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-12- Tenir cachée la connaissance des mystères est
une bonne précaution, cette précaution fût-elle publiquement
secrète.
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-13- L'érudition n'instruit pas l'esprit. Autrement, n'eût-elle
pas instruit Hésiode et Pythagore, puis Xenaphane et Hécatée
?
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-14- A Priène est né Bias, fils de Teutamés, dont
on fait plus grand cas que des autres.
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-15- Il faut, plus qu'un grand feu, étouffer un outrage.
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-16- Aucun de ceux dont j'ai retenu les propos n'était parvenu
à comprendre que la sagesse est d'un ordre à part.
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-17- Qui parle avec bon sens doit s'appuyer du sens commun ainsi
qu'une cité de sa loi, et davantage. Car les lois des hommes se
nourrissent toutes d'une loi divine qui gouverne absolument, suffit à
tout, et dont tout relève.
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-18- Le peuple doit combattre pour sa loi comme pour ses remparts.
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-19- On ne saurait entrer deux fois dans le même fleuve.
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-20- Nous nous baignons dans les mêmes fleuves où coule
une eau qui n'est plus la même.
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-21- Tout s'écoule.
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-22- On se baigne et l'on ne se baigne pas dans le même fleuve.
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-23- Ce ne sont pas de bons témoins que les oreilles et les yeux
des esprits barbares. -24- Les âmes flairent dans les
enfers.
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-25- Si tout devenait fumée, le nez serait le siége
du discernement.
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-26- Cet univers, aucun des dieux ni des hommes ne l'a fait
: il fut toujours et il sera un feu toujours vivant, qui s'allume avec
mesure et qui s'éteint avec mesure.
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-27- La voie d'en-haut, la voie d'en-bas, c'est la même
voie. -28- Le contraire est utile. Des opposés sort
le plus beau concert. De la discorde tout est né.
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-29- La guerre est la mère de l'univers.
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- 30- Le monde est l'accord des contrastes. Ainsi
l'arc et la lyre, selon que l'on en bande ou relâche les cordes.
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-31- Un mot pareil désigne en grec et ce qui vit et ce qui
vise. Mais la vie est un trait qui tue.
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-32- L'invisible harmonie vaut mieux que la visible.
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-33- Il faut savoir que la guerre amalgame, que justice
est discord, que tout s'enfante a se détruit par le discord.
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-34- Dieu tour à tour est le jour et la nuit, l'hiver et l'été,
l'abondance et la disette, comme un feu mêlé d'aromates en
reçoit la diversité des noms que l'on donne aux parfums.
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-35- La vie et la mort, la veille et le sommeil la jeunesse «la
vieillesse sont d'un seul et même homme à tour de rôle.
-36- Tous ceux qui sont en état de veille n'ont qu'un
seul et même univers.
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-37 - Pour Dieu tout est beau, juste et bon. Les hommes croient distinguer
le juste de l'injuste.
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-38- C'est par comparaison à l'homme qu'est laid et plus beau des
singes.
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- 39 - Dans une circonférence, le commencement d'un cercle et sa
fin se confondent.
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-40- La maladie fait valoir la santé, le mal produit le bien,
la faim nous porte à nous rassasier, la fatigue à nous délasser.
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- 41 - Héraclite comparait les pensées
des hommes aux osselets dont jouent les enfants.
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- 42 - Le Temps est un marmot qui joue au trictrac ; son règne est
d'un marmot.
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- 43 - Un homme en vaut dix mille, dés lors qu'il est le meilleur.
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- 44 - Les pourceaux se roulent dans la boue et les oiseaux font la poudrette.
La paille est l'or des ânes.
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- 45 - A défaut d'injustice le nom de la justice nous serait
inconnu.
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- 46 - Où se cacher du feu qui ne se couche pas ?
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- 47 - Les frontières de l'âme, quelque chemin qu'on prenne,
on ne peut les atteindre ; elles sont trop profondes.
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- 48 - Nous sommes et ne sommes pas.
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- 49 - Mal et bien, c'est tout un.
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- 50 - Homère eût mérité de passer par les verges
et, non moins qu'Archiloque, d'être chassé des jeux.
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- 51 - C'est moi que j'ai cherché.
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- 52 - Que ces gens-là manquent d'esprit a de jugement ! Ils s'en
rapportent à des poètes du coin des rues; la canaille est
leur guide; ils ne savent pas que le petit nombre est bon, le grand, mauvais.
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- 53 - Il serait dommageable aux hommes que leurs vœux s'accomplissent.
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- 54 - La pensée est le plus haut degré de la vertu. La sagesse
est de parler vrai, de régler ses actions sur la nature, d'obéir
à sa propre voix.
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- 55 - Il est donné à tout homme de se connaître et
de témoigner qu'il est raisonnable.
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- 56 - Excellent esprit, lumière sèche.
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- 57 - Le naturel propre à chaque homme est son génie.
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- 58 - La nature prend plaisir à se dérober à nos
regards.
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- 59 - Un breuvage même, à moins qu'on ne l'agite, dépose.
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- 60 - Notre vie est la mort des immortels, et leur vie notre mort.
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- 61 - Sous prétexte de se purifier, les dévots se souillent
du sang des victimes. Autant se salir de boue pour se nettoyer avec de
la boue. Ils adressent des prières à des statues; autant
parler à des maisons – On tiendrait pourtant pour déraisonnable
celui qui leur reprocherait de l'être
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- 62 - L'homme éclaire d'un flambeau sa nuit, mort, il s'éteint.
Le sommeil aux yeux éteints d'un vivant ressemble à la mort
; éveillé, il semble dormir.
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– 63 - Ce qu'il advient de l'homme après la mort n'est pas ce qu'il
espère, et n'est pas ce qu'il croit.
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- 64 - Aux plus grands morts les plus grands destins.
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- 65 - L'arrangement le plus beau tient d'un monceau d'ordures amassé
par hasard.
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