Dans son Eupalinos, Valéry fait dire au personnage qui porte ce nom quelques phrases qu'un constructeur se serait sans doute retenu, par un sentiment de pudique modestie de prononcer :
"Phèdre
Un jour, cher Socrate, je parlais de ces mêmes choses avec mon ami Eupalinos.
-Phèdre, me disait-il, plus je médite sur mon art, plus je l’exerce ; plus je pense et agis, plus je souffre et me réjouis en architecte ; - et plus je me sens moi-même avec une volupté et une clarté toujours plus certaines.
Je m'égare dans mes longues attentes; je me retrouve par les surprises que je me cause; et au moyen de ces degrés successifs de mon silence, je m'avance dans ma propre édification; et j'approche d'une si exacte correspondance entre mes voeux et mes puissances, qu'il me semble d'avoir fait de l'existence qui me fut donnée, une sorte d'ouvrage humain.
A force de construire, me fit-il en souriant, je crois bien que je me suis construit moi-même.
Socrate
Se construire, se connaître soi-même, sont-ce deux actes, ou non ?
Phèdre
... et il ajouta: J'ai cherché la justesse dans les pensées; afin que, clairement engendrées par la considération des choses, elles se changent, comme d'elles-mêmes, dans les ates de mon art. J'ai distribué mes attentions; j'ai refait l'ordre des problèmes; je commence par où je finissais jadis, pour aller un peu plus loin... Je suis avare de rêveries, je conçois comme si j’exécutais. Jamais plus dans l'espace informe de mon âme, je ne contemple de ces édifices imaginaires, qui sont aux édifices réels ce que les chimères et les gorgones sont aux véritables animaux. Mais ce que je pense est faisable - et ce que je fais se rapporte à l'intelligible... Et puis... Écoute, Phèdre (me disait-il encore), ce petit temple que j'ai bâti pour Hermès, à quelques pas d'ici, si tu savais ce qu'il est pour moi !--Où le passant ne voit qu'une élégante chapelle, --c'est peu de chose: quatre colonnes, un style très simple,--j'ai mis le souvenir d'un clair jour de ma vie. Ô douce métamorphose ! Ce temple délicat, nul ne le sait, est l'image mathématique d'une fille de Corinthe que j'ai heureusement aimée. Il en reproduit fidèlement les proportions particulières. Il vit pour moi ! Il me rend ce que je lui ai donné...
- ...Dis-moi (puisque tu es si sensible aux effets de l’architecture) n'as-tu pas observé, en te promenant dans cette ville que d'entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont muets ; les autres parlent; et d'autres enfin, qui sont les plus rares, chantent ?--Ce n'est pas leur destination, ni même leur figure générale, qui les animent à ce point ou qui les réduisent au silence. Cela tient au talent de leur construteur, ou bien à la faveur des Muses."*
*Paul Valéry, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléïade, volume II, page 91.
Une simple remarque au sujet de ce texte : Valéry, en peu de mots exprime la différence entre un véritable métier "qui nourrit son homme"' spirituellement et matériellement et un emploi dans lequel il pert sa vie à la gagner.
Vriedeman de Vries, Perspective (~1604)
La colonne ionique est à l'image de l'homme, la dorique à celle de la femme et la corinthienne a les proportions sveltes de la jeune fille, c'est ce qu'écrivait Vitruve, il y a 2 millénaires. Dans le dessin ci-dessus, d'après la réédition de Dover, le module (rayon de la colonne) est de 1/2 pied.
C.G. 30/03/0997