Livre I-Chapitre I Chapitre II Chapitre III Chapitre premier du livre III
Elles ont avec la permanence, l'avantage d'unir les hommes qui désirent faire de l'harmonie du monde, le modèle de leur équilibre intérieur.
Laissons lui la parole :
".....L’étude de la philosophie sert aussi à rendre parfait l’architecte qui doit avoir l’âme grande et hardie.
.....Pour ce qui est de la musique, il doit y être consommé, afin qu’il sache la proportion canonique et mathématique, pour bander comme il faut les machines de guerre, comme balistes, catapultes et scorpions, dont la structure est telle, qu’ayant passé dans deux trous par lesquels on tend également les bras de la catapulte, et dont l’un est à droite et l’autre est à gauche, aux chapiteaux de ces machines, des câbles faits de cordes à boyaux que l’on bande avec des treuils ou cabestans et des leviers, l’on ne doit arrêter ces câbles pour mettre la machine en état de décocher, que quand le maître les entend d’un même ton, quand on les touche, parce que les bras que l’on arrête après les avoir bandés doivent frapper d’une égale force, ce qu’ils ne feront point s’ils ne sont tendus également, et il sera impossible qu’ils poussent droit les traits qu’ils doivent lancer.
La connaissance de la musique est encore nécessaire pour savoir disposer les vases d’airain que l’on met dans les niches sous les degrés des théâtres, et qui doivent être placés par proportion mathématique, selon la différence des sons qu’ils ont en retentissement (appelé echeia en grec), et doivent aussi être faits suivant les symphonies ou accords de musique, et pour cela avoir différentes grandeurs tellement compassées et proportionnées les unes aux autres, qu’ils soient à la quarte, à la quinte ou à l’octave, afin que la voix des comédiens frappe les oreilles des spectateurs avec plus de force, de netteté et de douceur. Enfin les machines hydrauliques et la structure d’autres instruments semblables ne peuvent être comprises sans la science de la musique.
Il faut aussi que l’architecte ait connaissance de la médecine pour savoir quelles sont les différentes situations des lieux de la terre, lesquels sont appelés climata par les Grecs, afin de connaître la qualité de l’air, s’il est sain ou dangereux, et quelles sont les diverses propriétés des eaux; car, sans la considération de toutes ces choses, il n’est pas possible de construire une habitation qui soit saine.......*
L’astrologie (il faut entendre l'astronomie, un seul terme existait alors et le contexte l'exige !) lui servira aussi pour la confection des cadrans solaires par la connaissance qu’elle lui donne de l’orient, de l’occident, du midi et du septentrion, des équinoxes, des solstices et du cours des astres.
Donc, puisque l’architecture est enrichie de la connaissance de tant de diverses choses, il n’y a pas d’apparence de croire qu’un homme puisse devenir bientôt architecte, et il ne doit pas prétendre à cette qualité à moins qu’il n’ait commencé dès son enfance à monter par tous les degrés des sciences et des arts qui peuvent s’élever jusqu’à la dernière perfection de l’architecture.
Il pourra se faire que la plupart ne puisse pas comprendre que l’entendement et la mémoire d’un seul homme soient capables de tant de connaissance; mais quand on aura remarqué que toutes les sciences ont une communication et une liaison entre elles, on se persuadera que cela est possible, car la science universelle est composée de toutes ces sciences, comme un corps l’est de ses membres, et ceux qui ont étudié dès leur jeune âge le reconnaissent aisément par les convenances qu’ils remarquent entre certaines choses qui sont communes à toutes les sciences, dont l’une sert à apprendre l’autre plus facilement.
C’est pourquoi Pithius, cet ancien architecte qui s’est rendu illustre par la construction du temple de Minerve dans la ville de Pirenne, dit dans son livre que l’architecte doit être capable de mieux réussir, aidé de toutes les sciences dont il a la connaissance, que tous ceux qui ont excellé par une activité particulière dans chacune de ces sciences: ce qui n’est point véritable, car il n’est ni possible ni même nécessaire qu’un architecte soit aussi bon grammairien qu’Aristarque, aussi grand musicien d’Aristoxène, aussi excellent peintre qu’Apelle, aussi bon sculpteur que Miron ou Polyclète, ni aussi grand médecin qu’Hippocrate. Il suffit qu’il ne soit pas ignorant de la grammaire, de la musique, de la sculpture et de la médecine, l’esprit d’un seul homme n’étant point susceptible d’atteindre la perfection dans tant de grandes choses................
Ainsi l’architecte doit être réputé en savoir assez, pour peu qu’il soit instruit dans les arts qui ont rapport à l’architecture, afin que s’il est appelé à en juger ou à les examiner, il n’ait pas la honte de demeurer court; et s’il se rencontre des personnes qui aient assez d’esprit ou de mémoire pour savoir parfaitement la géométrie, l’astrologie, la musique et toutes les autres sciences, leur capacité doit être considérée comme quelque chose au-dessus de ce qui est requis par l’architecture; dans ce cas, ce sont des mathématiciens qui peuvent traiter à fond de toutes ces différentes sciences; ces génies sont fort rares, et il s’en trouve peu de tels qu’ont été Aristarque, à Samos; Philolaus et Architas, à Tarente; Apollonius, à Perga; Eratosthène, à Cyrène; Archimède et Scopinas, à Syracuse, lesquels ont inventé de très belles choses dans la mécanique et la gnomonique par la connaissance qu’ils avaient des nombres et des choses naturelles.
Donc, puisque l’architecture est enrichie de la connaissance de tant de diverses choses, il n’y a pas d’apparence de croire qu’un homme puisse devenir bientôt architecte, et il ne doit pas prétendre à cette qualité à moins qu’il n’ait commencé dès son enfance à monter par tous les degrés des sciences et des arts qui peuvent s’élever jusqu’à la dernière perfection de l’architecture.
En quoi consiste l’architecture.
L’architecture est constituée par: l’ordonnance, que les Grecs appellent taxis; la disposition, qu’ils nomment diathésis; l’eurythmie; la proportion; la convenance, et la distribution.........
L’eurythmie est la beauté résultant de la réunion d’un dessin agréable et d’une distribution commode au premier aspect, dans toutes les parties de l’oeuvre; on obtient ce résultat en établissant une juste proportion dans les dispositions générales de l’édifice en tous les détails à la perfection de l’ensemble.
La proportion est le rapport que tout l’oeuvre a avec ses parties, et qu’elles ont séparément, comparativement au tout, suivant la mesure d’une certaine partie. Car, de même que dans le corps humain, il y a un rapport entre le coude, le pied, la paume de la main, le doigt et les autres parties, ainsi dans les ouvrages qui ont atteint leur perfection, un membre en particulier fait juger de la grandeur de tout l’oeuvre.
Des édifices sacrés
Dans ce chapitre les lieux favorables pour les temples des dieux suivant leur fonctions sont indiqué ainsi que les styles en rapport. Ces indications sont techniques, l’auteur ne verse guère par la crédulité ainsi que le révèle un passage que nous reproduisons plus bas.: “De la vie des hommes primitifs, des commencements de la civilisation, des habitations et de leurs développements” Vitruve traite des matériaux et de leur emploi. Il traite successivement des briques, du sable, de la chaux, de la pouzzolane, des carrières, des différents genre de maçonnerie et des bois. Il y montre une grande connaissance des matériaux et le bon sens qui le guide dans leur emploi.
Les livres III et IV traitent des proportions, des Ordres d’Architecture et des différents types de temples. C’est celle qui sera le plus souvent reprise jusqu’à nos jours, souvent à partir de Vignole.
D’où les proportions ont été transportées aux temples.
L’ordonnance d’un édifice consiste dans la proportion qui doit être soigneusement observée par les architectes. Or, la proportion dépend du rapport que les Grecs appellent analogie; et, par rapport, il faut entendre la subordination des mesures au module, dans tout l’ensemble de l’ouvrage, ce par quoi toutes les proportions sont réglées; car jamais un bâtiment ne pourra être bien ordonné s’il n’a cette proportion et ce rapport, et si toutes les parties ne sont, les unes par rapport aux autres, comme le sont celles du corps d’un homme bien formé.
Dessin de Jean Goujon illustrant Vitruve
Le corps humain a naturellement et ordinairement cette proportion, que le visage qui comprend l’espace qu’il y a du menton jusqu’au haut du front, où est la racine des cheveux, en est la dixième partie. La même longueur est depuis le pli du poignet jusqu’à l’extrémité du doigt qui est au milieu de la main ; toute la tête, qui comprend depuis le menton jusqu’au sommet, est la huitième partie de tout le corps. La même mesure est depuis l’extrémité inférieure du col par-derrière. Il y a depuis le haut de la poitrine jusqu’à la racine des cheveux une sixième partie, et jusqu’au sommet une quatrième. La troisième partie du visage est depuis le bas du menton jusqu’au dessous du nez: il y en a autant depuis le dessous du nez jusqu’aux sourcils, et autant encore de là jusqu’à la racine des cheveux qui termine le front...
Rien n’étant plus difficile à éradiquer qu’une opinion répandue, quelques lecteurs seront surpris qu’en plus des ordres ionique, dorique et corinthien dont il donne les origines, Vitruve fasse une place importante au toscan et plus encore qu’il s’élève contre le composite donné pour récent par les auteurs modernes. Voici le texte latin et sa traduction par Pierre Gros, les Belles Lettres 1992 : (LIVRE IV 1, 12)
“Sunt autem quae isdem columnis inponuntur capitulorum genera uariis uocabulis nominata, quorum nec proprietates symmetriarum nec columnarum, genus aliud nominare possumus, sed ipsorum uocabula traducta et commutata ex corinthiis et puluinatis et doricis uidemus, quorum symmetriae sunt in nouarum scalpturarum translatae subtilitatem.” Il existe aussi d’autres types de chapiteaux auxquels on applique une terminologie variée, et qui trouvent place sur les mêmes colonnes; nous ne pouvons désigner comme un autre ordre ni les particularités de leur système proportionnel ni celles de leurs colonnes: nous constatons au contraire que les noms qui sont les leurs dérivent par transposition de ceux des ordonnances corinthiennes, ioniques et doriques, dont les relations modulaires ont été recomposées pour répondre aux raffinements de la sculpture moderne”.
Il compare les proportions des trois ordres grecs à celles de l’homme, de la femme et de la jeune fille et tout naturellement, cette distinction lui sert à déterminer le style des temples et des autres édifices suivant leur destination.
C’est également dans le livre IV que nous trouvons la touchante histoire du chapiteau corinthien, tel qu’elle est encore contée de nos jours :
“Le troiième genre de colonnes est appelé corinthien,
il représente la délicatesse d’une jeune fille à qui
l’âge rend la taille plus dégagée et plus susceptible
de recevoir les ornements qui peuvent augmenter la beauté naturelle.
L’invention de son chapiteau est fondée sur cette rencontre.
Une jeune fille de Corinthe, à peine nubile, mourut subitement: lorsqu’elle fut inhumée, sa nourrice alla porter sur son tombeau, dans un panier, quelques petits vases que cette fille avait aimés pendant sa vie, et afin que le temps ne les gâtât pas aussi promptement en les laissant à découvert, elle mit une tuile sur le panier, qu’elle posa par hasard sur la racine d’une plante d’acanthe; il arriva, lorsque au printemps les feuilles et les tiges commencèrent à sortir, que le panier qui était sur le milieu de la racine fit élever le long de ses côtés les tiges de la plante qui, rencontrant les coins de la tuile, furent contraintes de se recourber en leurs extrémités, et produisirent le contournement des volutes.
Le sculpteur Callimachus, que les Athéniens appelèrent Catatechnos à cause de la délicatesse et de l’habileté avec lesquelles il taillait le marbre, passant auprès de ce tombeau, vit le panier et la manière dont ces feuilles naissantes l’avaient environné. Cette forme nouvelle lui plut infiniment, et il en imita la manière dans les colonnes qu’il fit depuis à Corinthe, établissant et réglant sur ce modèle les proportions et la manière de l’ordre corinthien”.
Elle se dégage avec évidence de son oeuvre, c’est un homme pragmatique, observateur de la nature et respectueux de ses lois. Un beau discours peut faire illusion, une construction ne tient debout que si les règles sont appliquées.
La Rome de son époque avait de nombreux Dieux à qui l’on élevait des autels en tenant compte de leur spécificité, les Saints les ont remplacés avec plus ou moins de bonheur en en reprenant le logis et parfois le nom.
La pluralité était génératrice d’une pensée libre chez ceux qui, en leur construisaint les Temples aidaient les Dieux à remplir leurs fonctions, Vitruve ecrit :
“La convenance que requiert la nature des lieux, consiste à choisir les endroits où l’air et les eaux sont les plus sains pour y placer les temples, principalement ceux qu’on bâtit au dieu Esculape, à la déesse Santé et aux autres divinités, par qui l’on croit que les maladies sont guéries; car, par le changement d’un air malsain à un air salutaire, et par l’usage de meilleures eaux, les malades pourront se guérir plus aisément, ce qui augmentera beaucoup la dévotion du peuple, qui attribuera à ces divinités la guérison qu’il doit à la nature salutaire du lieu.”
Les maçons étaient déjà “de la religion du pays” dans lequel ils travaillaient, tout en conservant leurs certitudes ou leurs hypothèses personnelles.