LE MANUEL D'EPICTETE
Traduction Mario Meunier
Chapitres XX à XXIV


XX


Souviens-toi que ce n'est pas celui qui t'injurie, ou celui qui te frappe, qui t'outrage, mais le jugement que ces hommes t'outragent. Lorsque donc quelqu'un te met en colère, sache que c'est ton jugement qui te met en colère. Efforce-toi donc avant tout de ne pas te laisser emporter par ton idée; car, si une fois tu gagnes temps et délai, tu deviendras plus facilement maître de toi.
 

XXI
 Que la mort, l'exil et tout ce qui paraît effrayant soient sous tes yeux chaque jour; mais plus que tout, la mort. Jamais alors tu ne diras rien de vil, et tu ne désireras rien outre mesure.
XXII
 Si tu désires être philosophe, prépare-toi dès lors à être ridiculisé et raillé par la foule qui dira : « Il
nous est revenu tout à coup philosophe.» Et : « D'où lui vient cet orgueilleux sourcil ? » Pour toi, n'aie pas un sourcil orgueilleux. Attache-toi à ce qui te paraît le meilleur, comme si Dieu t'avait désigné pour ce poste.
Souviens-toi que, si tu persévères, ceux mêmes qui d'abord se moquaient de toi t'admireront plus tard.
Mais, si tu te laisses abattre, tu te rendras doublement ridicule.

XXIII





 S'il t'arrive par hasard de te retourner vers l'extérieur par complaisance pour quelqu'un sache que tu as perdu ton assise. Contente-toi donc d'être en tout philosophe. Mais si tu veux encore le paraître, parais-le à toi-même, et que cela te suffise.

XXIV
1 - Ne t'afflige point par des raisonnements de cette sorte : « Je vivrai sans honneur, et je ne serai
rien nulle part. »  Si, en effet, le déshonneur est un mal, tu ne peux pas être dans le mal par la faute d'un autre non plus que dans la honte. Est-ce donc une œuvre dépendante de toi, que d'obtenir une charge ou d'être admis dans un festin? Nullement. Comment donc pourrait-il y avoir la matière à déshonneur ? Comment ne seras-tu rien nulle part, toi qui dois être quelque chose dans les seules choses qui dépendent de toi dans les choses ou tu peux acquérir la considération la plus grande ?

2. - Mais tes amis resteront sans secours ! – Qu'appelles-tu sans secours ? – Tu ne leur donneras
pas de l'argent, tu ne les feras pas citoyens romains – Mais qui donc t'a dit que ce sont la des choses qui dépendent de nous, et qui ne nous sont pas des choses étrangères ? Qui peut donner à un autre ce qu'il n'a pas lui-même ? – Acquiers donc, dira l'un d'eux, pour que nous ayons.

3.- Si je puis acquérir en me conservant modeste sur, magnanime, montre-moi le chemin, et j'acquerrai.
Mais si vous trouvez bon que je perde les biens qui me sont propres pour que vous obteniez ce qui n'est pas un bien, voyez a quel point vous êtes iniques et déraisonnable !
Que préférez-vous donc ? L'argent ou un ami sûr et modeste ? Aidez-moi plutôt a acquérir ces
biens, et ne trouvez plus bon que je me livre à des actes qui me les fassent perdre.

4.- « Mais ma patrie, dira quelqu'un, autant qu'il est en moi, je ne lui viendrai point en aide.»  Encore une fois, quelle est cette aide ? Elle ne te devra ni portique, ni bains. Et qu'est-ce que cela ? Ce ne sont pas les forgerons qui lui donnent des chaussures, ni les cordonniers, des armes ; il suffit que chacun accomplisse sa tâche. Mais, si tu lui fournissais quelque autre citoyen modeste et sûr, ne lui rendrais-tu aucun service.
_ Oui - Eh bien alors ! Toi aussi, tu ne lui seras pas inutile.

5. - Mais quelle place, ajoute-t-il, aurai-je donc dans l'Etat? – Celle que tu peux avoir en te gardant
modeste et sûr. Mais si, pour venir en aide à ta patrie tu perds ces biens. De quelle utilité lui seras-tu une fois devenu impudent et déloyal?
 

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