EPICTÈTE
Biographie par Mario Meunier (*)

 
Né à Hiérapolis, en Phrygie, vers l'an 50 avant Jésus Christ, Epictète, issu d'humble et serve famille, fut à son tour, durant de longues années, l'esclave d'Epaphrodite, affranchi de Néron. Boiteux dès son jeune âge, serviteur d'un maître rude et brutal, ce sage eut la vie qu'il fallait pour magnifiquement illustrer sa doctrine.
Comme son maître lui faisait un jour appliquer à la jambe un instrument de torture : « Tu vas la casser » lui dit en souriant Epictète. La jambe cassa, et le philosophe reprit : « Ne t'avais-je pas dit
que tu allais la casser? »
Epictète était encore au service de son maître, quand Epaphrodite, charmé de l'esprit et des heureuses dispositions de son esclave, lui fit entendre les leçons de Caius Musonius Rufus, philosophe stoïcien qui avait ouvert une école à Rome.
Une fois affranchi, Epictète fit profession de philosophie. Dépourvu d'avantages extérieurs, il vivait sans femme, sans famille, dans une petite maison, si pauvre et si dénuée qu'il n'avait pas besoin d'en verrouiller la porte: les cambrioleurs n'y auraient trouvé qu'un grabat et qu'une lampe d'argile. Lorsque Dornitien, en l'an 89 de notre ère, bannit les philosophes de Rome et d'Italie, Epictète se retira à Nicopo1is, en Epire, où la jeunesse romaine se rendit en foule pour suivre ses leçons. Sa sobre éloquence faisait sur elle une impression profonde.
Séduits et charmés, les auditeurs devenaient facilement des enthousiastes, et même des dévots. Ne raconte-on pas qu'un de ces derniers acheta pour trois mille drachmes la lampe d'argile qui servait au sage à éclairer ses veilles?
  On ne sait ni quand ni comment Epictète mourut. Ce fut, en tout cas, dans un âge fort avancé.
  Son enseignement dialogué n'avait rien de suivi. Il se servait de la méthode qui fut habituelle à Socrate. Ses jugements se formulaient avec la vigueur, nette et concise, qu'une morale militante réclame. Libre comme son âme et affranchie des élégances guindé, sa parole ne dédaignait pas d'employer les expressions vives, incisives, directes et pittoresques de la langue du peuple. Il interrogeait souvent; et, comme Socrate, il ne craignait pas, pour illustrer sa pensée et lui donner
une solidité, une vivacité et une ironie savoureuses, d'user des comparaisons les plus simples et des images les plus courantes et les plus familières.
Tout en étant foncièrement stoïcien, Epictète ne suivit pas la direction purement dialectique qui finit par prédominer chez les disciples de Zénon. Sans délaisser ni donner trop de part à la spéculation, il visa surtout à la sage application de la doctrine, à la vérification pratique de sa valeur morale et de sa quotidienne efficacité.
  Comme Socrate encore, Epictète n'écrivit rien. Ce fut son disciple Flavius Arrien, originaire de Nicomèdie en Bithynie qui, ayant suivi sous Trajan les leçons d'Epictète à Nicopolis, rédigea les notes qu'il  avait prises en écoutant son maître. De là sortirent les Entretiens d'Epictète en huit livres, dont il ne nous reste plus que quatre.
De tous ces entretiens, Arrien lui-même en tira ce qui lui parut essentiel, pour le condenser en un petit livre qu'on put toujours et avoir sous la main et porter avec soi: le Manuel d'Epitète.
Simplicius, qui enseignait à Athènes lorsque les écoles de philosophie païenne furent fermées, en 529, par Justinien, composa un commentaire très développé de ce Manuel. Ce petit livre, dit-il, a est une arme de combat qu'il faut toujours avoir à sa portée, et dont il faut que ceux qui veulent bien vivre soient toujours prêts à se servir ".
  Admiré par les païens, ce Manuel le fut non moins par les chrétiens Saint Nil, disciple de saint Jean Chrysostome, puis anachorète, l'adapta, avec d'insignifiantes modifications, à l'usage de la vie des ermites du mont Sinaï, et la règle de saint Benoît elle-même en fit passer plus d'un précepte dans le monachisme occidental.
Traduit plusieurs fois en français, dès le XVIe siècle, le Manuel d'Epictète eut la singulière fortune de faire l'impression la plus vive sur le génie de Pascal. Ce manuel, en effet, est un des livres les plus réconfortants que la pensée grecque nous ait laissés. Nous y entendons, écrit Maurice Croiset dans son livre intitulé la Civilisation hellénique, " la parole fière et un peu rude d'un ancien esclave syrien... Persuadé que l'univers est bon tel qu'il est, que tout s'y passe sous la loi d'une sagesse supérieure qui mène l'ensemble des choses à des fins déterminées par elle, il trouve pleine satisfaction dans l'adhésion qu'il donne sans réserve à toutes les volontés de cette Providence bienveillante
en laquelle il a foi. Et dès lors, sûr que cette adhésion ne dépend que de lui-même, que rien au monde ne peut l'empêcher de la donner, il se sent libre et heureux tout à la fois: libre, malgré tout ce qui semble l'opprimer; heureux, malgré l'exil, malgré la misère, malgré la souffrance et tout ce qui trouble la plupart des hommes. le sent et il veut que les autres le sentent comme lui ; car c'est un maître de force morale et de bonheur, mais un maître exigeant, impérieux dans sa bienveillance  " (1)
Mario Meunier
 (*) Editions Garnier - Flammarion – ( Marc Aurel – Pensées pour moi-même suivi du Manuel d'Epictète N° 16 )
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