I
2.- Les choses qui dépendent de nous sont par nature libres, sans empêchement, sans entraves; celles qui n'en dépendent pas, inconsistantes, serviles, capables d'être empêchées, étrangères.
3.- Souviens-toi donc que si tu crois libre ce qui par nature est servile, et propre a toi ce qui t'est étranger, tu seras entrave, afflige, trouble, et tu t'en prendras aux Dieux et aux hommes. Mais, si tu crois tien cela seul qui est tien, et étranger ce qui t'est en effet étranger, nul ne pourra jamais te contraindre, nul ne t'entravera; tu ne t'en prendras a personne, tu n'accuseras personne, tu ne feras rien malgré toi; nul ne te nuira; tu n'auras pas d'ennemi. car tu ne souffriras rien de nuisible.
4.- Toi donc qui aspires à de si grands biens(2)souviens-toi
qu'il ne faut pas médiocrement te démener pour les atteindre,
mais qu'il faut absolument en repudier certains , et en ajouter d'autres
pour l'instant.
Mais si, entre ces biens, tu veux encore et richesse et pouvoir, peut-être
n'obtiendras-tu pas ces derniers biens, du fait que tu aspires également
aux premiers Mais il est, en tout cas, absolument certain que tu n'obtiendras
pas les seuls biens d'ou proviennent liberté et bonheur.
5.- Ainsi donc, a toute idée pénible, prends soin de dire: « Tu es idée, et tu n'es pas du tout ce que tu représentes.» Puis, examine-la, et juge-la selon les règles dont tu disposes, surtout d'après cette première qui te fait reconnaître si cette idée se rapporte aux choses qui dépendent de nous, ou a celles qui n'en dépendent pas. Et, si elle se rapporte à celles qui ne dépendent point de nous, sois prêt a dire : «cela ne me concerne pas.»
* * *
II
1.- Souviens-toi que le vœu du désir est d'obtenir ce dont il a désir, que le voeu de l'aversion est de ne pas tomber sur l'objet de son aversion. Or, celui qui n'obtient pas ce qu'il désire est infortuné, et celui qui tombe sur l'objet qu'il a en aversion est malheureux. Si donc tu n'as en aversion, dans ce qui dépend de toi que ce qui est contraire a la nature, tu ne tomberas sur aucun objet d'aversion. Mais si tu as de l'aversion pour la maladie, la mort ou la pauvrette, tu seras malheureux.
2. -Retire donc ton aversion de tout ce qui ne dépend
point de nous, et reporte-la, dans ce qui
dépend de nous, sur tout ce qui est contraire à la nature.
Quant au désir, supprime-le absolument pour l'instant. Car si tu
désires quelqu'une des choses qui ne dépendent pas de nous,
nécessairement tu seras malheureux. Et quant aux choses qui dépendent
de nous et qu'il est beau de désirer, il n'en est aucune qui soit
encore a ta portée.- Borne-toi seulement à tendre vers les
choses et a t'en éloigner, mais légèrement, avec réserve
et modération.