LE MANUEL D'EPICTETE
Traduction Mario Meunier
Chapitres XXIX & XXX
XXIX
1.- En toute action, examine ses antécédents et ses conséquences, et alors seulement entreprends-la.  Si tu ne le fais pas, tu seras au début plein d'ardeur, parce que tu n'as pas songé à ce qui vient ensuite; mais plus tard, quand certaines difficultés apparaîtront , honteusement, tu t'en désisteras.

 2.- Tu veux vaincre aux Jeux Olympiques? Et moi aussi, par les Dieux ! car c'est un noble triomphe. Mais examine les antécédents et les conséquents de ce projet, alors seulement entreprends-le. Il faut te discipliner régler ta nourriture, t'abstenir de friandises, faire des exercices forcés et règles selon l'heure, la chaleur, le froid, ne pas boire de l'eau froide ni de vin à. tout hasard; bref, il faut te livrer à ton entraîneur comme un médecin. Ensuite, dans l'arène, il faut creuser la terre, quelquefois se démettre une main, se tordre la cheville, avaler force poussière, parfois aussi être fouetté, et, pares tout cela, être vaincu.

3.- Tout ceci une fois pesé, si tu le veux encore, travaille à devenir athlète. Sinon, .tu te comporteras comme les enfants qui jouent, tantôt aux lutteurs, tantôt aux gladiateurs, qui sonnent maintenant de la trompette et qui font les tragédiens ensuite. Il en sera de même pour toi, tantôt tu seras athlète, tantôt gladiateur, puis rhéteur, ensuite philosophe, et jamais rien de toute ton âme. Mais, tel un singe, tu imiteras tout spectacle que tu verras, et l'une après l'autre chaque chose te plaira. C'est, en effet, qu'avant de entreprendre, tu n'as point examiné ni retourné sous toutes ses faces ton projet. Tu t'engages au hasard et avec un froid désir.

4.- C'est ainsi que certains, après avoir vu un philosophe et entendu parler, comme sait parler Euphrate (5) - et pourtant qui peut parler comme lui.? – veulent aussi être philosophes.

 5.-O homme! Considère d'abord ce que tu te proposes, et vois ensuite, en étudiant ta nature, si tu en es capable. Tu veux être pentathle ou lutteur ?
Regarde tes bras, tes cuisses, examine tes reins en effet, est ne pour une chose; l'autre pour une autre.

6.- Crois-tu qu'en te rendant philosophe tu pourras semblablement manger, pareillement boire, avoir les mêmes désirs, les mêmes aversions ? Il faut veiller peiner, se séparer des siens, souffrir le mépris d'un jeune esclave, être raillé par les premiers venus, avoir en tout le dessous, dans les honneurs, dans les charges publiques, devant les juges et dans la moindre affaire.

7.- Pèse tout cela, si tu veux recevoir en échange, l'impassibilité, la liberté, le calme. Sinon, n'approche pas, de peur que, comme les enfants, tu ne sois maintenant philosophe, plus tard percepteur, ensuite rhéteur puis procurateur de César. Tout cela ne s'accorde pas Il faut que tu sois un seul homme, ou bon ou mauvais.
Il faut cultiver, ou le gouvernement de toi-même ou les choses du dehors, t'appliquer aux choses intérieures ou aux choses extérieures. C'est-à-dire tenir le rôle de philosophe ou de particulier.

XXX
Les devoirs, en général, se mesurent relativement aux rapports. C'est ton père: il t'est prescrit d'en prendre soin, de lui céder en tout, de supporter ses injures, ses coups.- Mais c'est un mauvais père.– Est-ce avec un bon père que la nature t'a mis en relation ? C'est avec un père.- Mon frère me fait tort.- Garde pourtant les rapports qui entre toi et lui ont été établis. Ne te préoccupe pas de ce qu'il fait, mais de ce que tu dois faire pour que ta volonté soit dans un état conforme à la nature. Nul ne peut te léser, si tu ne le veux point car tu ne seras lésé que si tu juges qu'on te lèse. Ainsi donc, si tu t'habitues à considérer les rapport qui existent d'un voisin à toi-même, d'un concitoyen. d'un prêteur, tu trouveras quel est ton devoir.
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