LE MANUEL D'EPICTETE
Traduction Mario Meunier
Chapitres XV à XIX


XV
Souviens-toi que tu dois te comporter comme dans un festin. Le plat qui circule arrive-t-il à toi? Tends la main et prends modérément. Passe-t-il loin de toi? Ne le recherche pas. Tarde-t'il à venir? Ne jette pas de loin sur lui ton désir, mais patiente jusqu'à ce qu'il arrive à toi. Sois ainsi pour tes enfants, ainsi pour ta femme, ainsi pour les charges publiques, ainsi pour la richesse, et tu seras un jour digne d'être le convive des Dieux. Mais si tu ne prends rien de ce que l'on te sert, si tu le considères avec indifférence, tu seras alors non seulement le convive des Dieux, mais tu deviendras
aussi leur collègue. C'est en faisant ainsi que Diogène (3), Heraclite (4) et leurs semblables ont mérité
être justement appelés ce qu'ils étaient: des êtres divins.

XVI

Lorsque tu vois un homme qui gémit dans le deuil, soit parce que son fils est absent, soit parce qu'il a

perdu ce qu'il possédait, prends garde de te laisser  emporter par l'idée que les maux dont il souffre lui viennent du dehors. Mais sois prêt à dire aussitôt : « Ce qui l'afflige ce n'est point ce qui arrive, car un autre n'en est pas affligé; mais c'est le jugement qu'il porte sur cet événement.»  N'hésite donc pas, même par la parole, à lui témoigner de la sympathie, et même, si l'occasion s'en présente, à gémir avec lui. Mais néanmoins prends garde de ne point aussi gémir du fond de l'âme

XVII

Souviens-toi que tu es comme un acteur dans le rôle que l'auteur dramatique a voulu te donner : court, s'il est court ; long, s'il est long. S'il veux que tu joues un rôle de mendiant, joue-le encore convenablement Fais de même pour un rôle de boîteux, de magistrat, de simple particulier. Il dépend de toi, en effet, de bien jouer le personnage qui t'est donné ; rnais le choisir appartient a un autre.

XVIII
Lorsqu'un corbeau pousse un cri de mauvais augure ne te laisse pas emporter par ton idée Mais distingue aussitôt en toi-même et dis-toi : « Ceci ne peut rien présager pour moi, mais seulement pour mon pauvre corps, mon petit avoir, ma gloriole, mes enfants ou ma femme. Quant à moi, tout est de bon augure, si je le veux; car, quoi que soit ce qui arrive, il dépend de moi d'en tirer avantage.»

XIX

1.- Tu peux être invincible, si tu ne t'engages dans aucune lutte, ou il ne dépend pas de toi être vainqueur.

2.- Veille a ce que jamais, voyant un homme entre tous honoré, investi d'un insigne pouvoir ou considéré pour toute autre raison, tu ne le proclames heureux en te laissant emporter par ton idée. Si, en effet, la substance du bien est dans les choses qui dépendent de nous, il n'y a plus de place pour l'envie ni pour la jalousie. Et toi-même, tu ne voudras pas être stratège, prytane ou bien consul, mais libre. Or, il n'y a qu'un chemin pour y atteindre, le mépris des choses qui ne dépendent pas de nous.

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