LE MANUEL D'EPICTETE
Traduction Mario Meunier
Chapitres XLIX à LIII
XLIX


Quand un homme se vante de comprendre et de pouvoir expliquer les livres de Chrysippe (11), dis en toi-même: « Si Chrysippe n'avait point obscurément écrit, cet homme n'aurait pas de quoi se vanter.»
Pour moi, qu'est-ce que je veux ? Connaître la nature et la suivre. Je cherche donc quel en est l'interprète, et si j'apprends que c'est Chrysippe, je vais à lui.
Mais je ne comprends pas ses écrits ? Je cherche alors quelqu'un qui les explique. Jusque-là, il n y a pas de quoi se vanter. Lorsque j'ai trouvé l'interprète, il reste à mettre les préceptes en pratique, et cela seul est glorieux. Mais si je n'admire que l'interprétation n'ai-je pas abouti à n'être rien autre, au lieu de philosophe, que grammairien ? Seulement, au lieu d'Homère j'explique Chrysippe. Aussi, quand on me dit :
- « Explique-moi Chrysippe », je rougis, si je ne suis pas en état de montrer une conduite adéquate et conforme à ses doctrines.

L
Tout ce qui t'est prescrit, sois-y fidèle comme à des lois que tu ne peux, sans impiété, transgresser. Quoi qu'on dise de toi, n'y fais pas attention, car cela ne dépend plus de toi.
LI
1.- Combien de temps encore différeras-tu de te juger digne de ce qu'il y a de meilleur, et de respecter tout ce que décide la raison ? Tu as reçu les maximes envers lesquelles il fallait s'engager, et tu t'es engagé. Quel maître attends-tu encore pour lui confier le soin de ton amendement ? Tu n'es plus un jeune homme, mais un homme fait. Si maintenant tu te négliges et deviens nonchalant, si tu ajoutes toujours délais aux délais, si tu renvoies d'un jour à l'autre le soin d'être attentif à toi-même, tu oublieras que tu n'avances pas, et tu continueras à vivre et à mourir comme un homme vulgaire.
 

 - 2 Juge-toi digne, dès maintenant, de vivre en homme fait et mûr pour progresser. Que tout ce qui te paraît le meilleur soit pour toi une loi intransgressible. S'il se présente quelque chose de pénible, d'agréable, de glorieux ou d'obscur, souviens-toi que l'heure de la lutte est venue, que tu es aujourd'hui comme aux Jeux Olympiques, que tu ne peux plus différer et qu'il ne tient qu'à un seul jour et qu'à une seule chose, que tes progrès soient compromis ou confirmés.

3.- C'est ainsi que Socrate est devenu Socrate, en ne portant, en toute circonstance, son attention sur rien d'autre que sur la raison (12),. Quant à toi, si tu n'es pas encore Socrate, tu dois vivre comme si tu voulais être Socrate.

LII
1.- La première et la plus importante partie de la philosophie est de mettre les maximes en pratique, par exemple : « Qu'il ne faut pas mentir.»  La deuxième est la démonstration des maximes, par exemple : « D'où vient qu'il ne faut pas mentir ? » La troisième est celle qui confirme et explique ces démonstration, par exemple : « D'où vient que c'est une démonstration ? »
Qu'est-ce que c'est qu'une démonstration, qu'une conséquence, qu'une opposition, que le vrai, que le faux ?

2.- Ainsi donc, la troisième partie est nécessaire à cause de la seconde; la seconde, à cause de la première. Mais la plus nécessaire, celle sur laquelle il faut se reposer c'est la première. Nous, nous agissons à l'inverse. Nous nous attardons dans la troisième partie, toute notre sollicitude est pour elle, et nous négligeons absolument la première Nous mentons en effet, mais nous sommes prêts à démontrer qu'il ne faut pas mentir.

LIII
1.- En toute occurrence il faut être prêt à dire :
« Conduis-moi, ô Zeus, et toi, Destinée,
où vous avez fixé que je dois me rendre.
Je vous suivrai sans hésiter; car, si je résistais,
en devenant méchant, je ne vous suivrais pas moins.»(13)
2.- « Quiconque cède à propos à la Nécessité
est un sage pour nous et connaît le divin.»(13)
 3.- « Mais, Criton, si cela ainsi est agréable aux
Dieux, qu'il en soit ainsi.» (13)
4.-« Anytos et Mélitos peuvent me tuer, mais non me nuire.» (13)



 
 

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