QUESTIONS DE BOUFFE

DIALOGUE DANS UN MAGASIN DE PRODUITS DIÉTÉTIQUES  MÉDITONS SUR LA NOURRITURE

Celui qui s'engage dans une voie spirituelle doit-il ou non manger "comme tout le mondes"?
Grave question qui a donné naissance à de nombreuses controverses lesquelles ne sont jamais parvenues donner une réponse "ferme et définitive" au problème posé.

« Facile, diront certains, yaka se référer aux Saintes Écritures ». Au lieu d'arranger les choses, les textes contradictoires qu'on y trouve, vont encore augmenter notre perplexité.

Pourtant certaines d'entre elles donnent parfois des indications précises, non seulement sur les aliments considérés comme purs ou impurs mais encore des préceptes sur leur mode de préparation et même la purification de la vaisselle.

Certains Textes sacrés sont d'accord sur des points donnés, ainsi Les Lois de Manou "Manava Dharma Shastra" et la Bible dans le Lévitique, tombent d'accord sur les animaux qui doivent être considérés comme impurs mais ne le sont pas forcément au point de vue des céréales.

La BhagavadGîta établit une sorte de hiérarchie entre les différentes classe d'êtres humains en fonction de leurs préférences alimentaires :
 

Au Verset 29 du Chapitre I de la Genèse on peut lire :
« Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe portant semence qui est à la surface de la terre et tout arbre portant en lui son fruit d'arbre et portant de la semence, ce sera votre nourriture ».
Un point c'est tout, pas de racines ou de bulbes qui poussant sous la terre et qui donc puisent leur substance de l'élément obscur, s'il ne sont pas explicitement proscrits, ne sont pas recommandés.

Les Lois de Manou, quant à elles sont plus explicites:

« L'ail, l'oignon, les champignons et tous les végétaux qui ont poussé au milieu de matières impure ne doivent pas être mangés par les "Dvijas" » (2) (Livre V-Stance 5)
Or l'ail, l'oignon et certaines racines comme les carottes et les radis ont des propriétés thérapeutiques reconnues. C'est donc sans doute pour des raisons d'ordre purement spirituelles et ésotériques qu'ils se voient proscrits.

Si l'on y réfléchit bien, le mode d'alimentation le plus "non-violent" est bien le régime céréalier-fructarien : voyez un champ de blé au moment de la moisson, il a produit peut-être cent fois plus de graines qu'il en faut pour réensemencer la parcelle l'année suivante. De même un arbre fruitier, un cerisier par exemple, si tous les fruits qu'il porte donnaient naissance chacun à un arbre ce serait une véritable forêt qui prendrait naissance à son pied. Par contre lorsqu'on se nourrit de feuilles ou de racine on est conduit à tuer la plante.

On trouve peut-être là la raison pour laquelle au tout début de la création, à une époque où devait régner sur terre la Paix et l'Harmonie – époque qui correspond à ce que l'on appelle l'Age d'Or –, seuls sont permis les fruits et les céréales.

Ce n'est qu'à l'époque de Moïse, lorsque la dégénérescence est déjà bien amorcée qu’apparaissant les préceptes concernant la Consommation de la viande.
Les Lois de Manou semblent plus libérales à ce sujet. On peut lire au Livre V , Stances 29 et 30 :

Toutefois afin que le meurtre de l'animal lui assure une chance de progression vers les états supérieurs de l'Être il doit se voir accompagné de prières et d'un rituel de consécration.
On trouve de semblables recommandations dans les règles d'abattage des animaux selon la Kashrouth juive.

L'apparente tolérance des Lois de Manou concernant la consommation de la viande doit s'expliquer facilement si l'on considère que, selon la Tradition indienne, elle comportaient à l'origine cent mille Sloka (stances) et que seulement nous sont parvenue les mille environ qui concernent l'Age Noir, le Kali Yuga où nous vivons.

Cela se trouve confirmé par les Sloka 49 à 56 qui concernent plus particulièrement ceux qui se consacrent à la réalisation spirituelle:

On pourrait ainsi explorer à perte de vue les textes sacrés, trouvant aussi bien des arguments favorables à une alimentation "non-violente" c'est à dire purement végétarienne, que d'autres plus permissifs vis à vis de la viande.

Même le Bouddha, lorsque certains disciples lui demandèrent de proscrire l'alimentation carnée du régime des moines, se refusa à prendre une position rigide, pensant que le Dharma pouvait aussi bien s'implanter dans des régions du globe où une alimentation purement végétarienne s'avérerait difficile. Les événements lui donnèrent raison lorsque le Bouddhisme s'implanta dans l'Himalaya.

En ce qui me concerne, ayant été complètement végétarien pendant près de deux ans et considérant les problèmes de double cuisine que ce mode d'alimentation imposait à mon épouse restée carnivore, après avoir essayé plusieurs systèmes diététiques, j'ai adopté le suivant :

Je mange tout ce qu'on m'offre en remerciant mentalement le "Créateur" d'avoir créé ces aliments, le paysan qui les a produits, et la personne qui les a préparés, moyennant quoi tout passe.
 

***
(1)Tamas (l'obscurité, la lourdeur) Rajas ( activité, agitation même ) et Sattva ( l'équilibre, la sérénité, la droiture) sont les trois "Gunas" (qualités fondamentales qui selon la pensée métaphysique de l'Inde caractérisent (ou constituent) tous les objet de la manifestation.

(2) Dvija : deux fois né c'est dire celui qui, ayant reçu l'initiation, s'achemine , sur le chemin spirituel, vers la libération.

Retour Début
 

DIALOGUE DANS UN MAGASIN DE PRODUITS DIÉTÉTIQUES

Le magasin où j'avais coutume, à l'époque, de me servir en pain complet biologique était tenu par un gérant fort zélé qui ne manquait pas de prêcher la bonne parole.
Un jour un avait placé dans sa vitrine un écriteau de bonne taille avec l'inscription :

“LE BLÉ EST LA NOURRITURE DE L'HOMME”

Comme je ne manquais pas une occasion de le taquiner, je lui dis :
- « Tiens, vous êtes raciste maintenant ? »
- « Non, pourquoi ? » me demande-t-il interloqué.
- « Bien, ceux qui mangent du riz ou du millet, ce ne sont pas des hommes peut-être »

Et moi, pendant qu'il bafouille des explications embarrassées, je rigole dans ma moustache.
Cette petite anecdote pour simplement montrer que chaque Tradition est attachée à une céréale donnée et qu'il est nécessaire de faire un petit effort de pensée pour admettre que d'autres hommes puissent appartenir à une Tradition qui en privilégie une autre.

Il est remarquable que chaque forme particulière de la Tradition soit attachée à une variété particulière de céréale, généralement présentée comme un don divin.

L'Occident est attaché à la tradition du blé qui croit-on jouait un rôle important dans les mystères d'Eleusis où, paraît-il un grain de blé était présenté comme hostie dans l'ostensoir et contemplé en silence.
A travers ce grain de blé les époptes étaient conviés à méditer sur l'union de Zeus et de Déméter et sur les mystères de la Vie.

Pour les peuples de l'Orient le riz présente un symbolisme analogue à celui du blé en Occident. Selon une légende taï la "courge primordiale" - qui représente vraisemblablement "l'Oeuf du Monde" -contenait, outre les différentes races humaines et les Livres Sacrés, le riz dont une variété particulière, le "riz rouge", est considérée en Chine comme une nourriture d'immortalité qui serait issue, disent d'anciens textes, du "Seigneur des Ding" c'est à dire la Lumière de la Connaissance.

D'après la Tradition de l'ancien Mexique, lorsque Dieu créa l'homme , il le fit d'abord d'argile : il fut détruit par une inondation. Alors il commença son œuvre en bois : il fut emporté par une pluie torrentielle. C'est seulement au troisième essais lorsque Dieu fit l'homme de maïs, qu'il survécu et donna naissance à tous les peuples de la terre.
C'est pourquoi encore aujourd'hui les peuples d'Amérique du Sud se nomment eux même les Hommes de Maïs.(1)

On pourrait encore parler de l'orge qui, biscuitée et réduite en farine, constitue la tsampa, nourriture de base des Tibétains; du millet qui, dans l'ancienne Chine, symbolisait la fécondité de la terre et l'ordre naturel. Du sésame aussi qui, paraît-il, rend intelligent et aurait été la seule nourriture de Lao Tseu lors de son voyage vers le mont Kouen Louen, le Centre du Monde.

On pourrait, on pourrait... mais je ne suis pas là en train de faire un traité sur le symbolisme des céréales.

Souvenons-nous cependant que dans le "Notre Père on ne dit pas : « ... donne nous notre steak quotidien » mais bien “notre pain. Quotidien”

***
(1) "Les Hommes de Maïs": c'est aussi le titre d'un roman de l'écrivain sud-américain Miguel Asturias.

MÉDITONS SUR LA NOURRITURE

La famille est en vacance ou en ballade, on est seul à la maison, pour déjeuner on ne va pas se casser la tête à faire de la cuisine, un simple casse-croûte suffira.  Pour moi ce sera un bon morceau de pain complet "bio" avec du beurre salé et un radis noir ( ça pousse peut-être dans l'élément sombre mais j'adore et de plus c'est bon pour la vésicule biliaire.)

Que faire en cassant la croûte ?

Lire le journal ? Regarder la télé ? Pouah ! toujours pareil : des guerres, des attentats, des scandales, des magouilles, c'est sinon à vous couper l'appétit – il m'en faut plus que ça ! – mais à vous gâter la digestion.
Penser au prochain tiers provisionnel ? Cogiter sur ce qu'on va faire cet après midi ? "Chaque chose à cent ans" comme disait quelqu'un que j'ai bien connu et dont la connaissance des locutions populaires de notre langue était assez approximative.

Et pourquoi ne pas profiter de la tranquillité et du calme ambiant pour faire une petite méditation toute simple sur le morceau de pain que nous sommes en train de mastiquer:

Le blé dont il est fait a été semé à la fin de l'automne et a passé l'hiver dans la terre, c'est la "phase au noir" la "Putrefactio" de l'alchimie.  Phase où tout se prépare et sans laquelle rien n'est possible:
"Si le grain ne meurt il ne pourra renaître" disent les Écritures.
Secrètement le germe se développe.  Il porte en lui depuis l'aube de la création la potentialité de millions et de millions d'autres grains de blé jusqu'à la consommation des temps.  C'est le grain de sénevé, le "yod" dans le cœur, symbole de la présence divine.  En langage taoïste, c'est le germe d'immortalité qu'il nous faut nourrir de notre souffle pour faire croître "la Fleur d'Or" de la réalisation spirituelle.

Nous voici maintenant au printemps, une petite pousse d'un joli vert tendre sort timidement de la terre.  Pour grandir il lui faudra se nourrir de la terre, de l'eau du ciel, de l'air, du feu du soleil, de la lumière.  Sentons en nous cette petite pousse se développer patiemment, tendre vers le ciel comme fait celui qui cherche la Lumière de l'Esprit.  C'est la "phase blanche" la "Resurectio" de l'œuvre alchimique.

Maintenant vient l'Été, les grains se forment puis se développent prenant la couleur dorée du soleil.  Dans ['Oeuvre Alchimique c'est la "phase au rouge" , la réalisation, l'obtention de la Pierre Philosophale.
Avec le prochain automne viendra la récolte: le blé sera débarrassé de sa paille, de sa balle puis engrangé pour préparer les récoltes avenir et ainsi entamer un nouveau cycle.

Pour qu'il s'agisse d'une véritable méditation et non d'une simple réflexion ou cogitation il faut vraiment sentir en soi et, si l'on en est capable, visualiser les différentes phases du cycle du blé.

Si notre repas n'est pas achevé, nous pouvons enchaîner sur une autre méditation :
Les quelques grains de blé dont a été fait le pain que nous sommes en train de manger sont, comme nous le remarquions il y a un instant, les héritiers de milliers, peut-être de millions d'autres grains qui, du fond des âges, ont convergé vers eux.

Vers eux ont convergé les éléments les plus grossiers de la matière, les minéraux et, également, les débris d'autres êtres vivants qui, en se décomposant, ont constitué l'humus.  Avez vous déjà pensé que dans le morceau de pain ( ou de beefsteak ) que vous êtes en train de manger, il y a peut-être des atomes ou des molécules qui ont fait partie du corps de Mozart, ou de votre arrière grand-père, à moins que ce ne soit de celui d'Attila ou de quelque affreux bandit – peut-être même un peu de chaque!

Vers lui à convergé l'eau du ciel mille fois transformée : rivière, buée, nuage, pluie, urine, sève, etc.
Il leur a fallu l'air des millions et des millions de fois respiré par des millions d'êtres vivants , plantes, bêtes et hommes.

Venues du ciel, ont collaboré la lumière du soleil et sa chaleur et tant d'autres influences, grossières ou subtiles et surtout, issue du Principe, la Vie.

Ainsi notre première méditation nous avait fait participer à la notion des cycles cosmiques et la seconde, à travers notre totale solidarité avec tout ce qui existe, à la notion du Centre vers lequel nous devons nous acheminer pour nous libérer de la ronde du Samsara.

Ainsi, jour après jour, en méditant sur la nourriture à chaque fois que les circonstance nous le permettront, sans autre livre que la Nature et en ne faisant appel qu'à des notions très simples, sans nous emberlificoter dans des considérations "mystico-vasouillardes" parviendrons nous peut-être à la Réalisation ou tout au moins à nous en approcher.  Car notre méditation ne peut que nous conduire à un grand émerveillement (1) et une grande gratitude envers le Créateur.

Ainsi pratiquée la simple action de manger peut devenir une occasion de pratiquer à la fois Jñana Yoga ( celui de la Connaissance) et Bhakti Yoga ( celui de la dévotion).

Bon Appétit !

***

(1) Est-ce que ce ne serait pas Saint Augustin qui aurait dit que la sagesse commence avec l'émerveillement devant l'Oeuvre du Créateur?
 
 

Retour Début