Les Templiers

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 Après tant de doctes ouvrages consacrés à cet ordre si réputé, pourquoi entreprendre une brève étude qui ne peut rester qu’incomplète ? Le merveilleux baigne l’histoire d’un Ordre chevaleresque religieux qui, honoré par tous, a été lourdement condamné par un roi français soucieux de son pouvoir absolu et par un pape qui a fléchi devant les volontés temporelles.

L’affreux supplice de ces moines-soldats en a fait des martyrs et toute une littérature en est née donnant naissance à un nombre impressionnant de faux ordres chevaleresques qui recrutent dans les milieux les plus divers ; de très nombreuses associations revendiquent une filiation fantaisiste, car on attribue à l’Ordre du Temple d’imaginaires mérites : on dénombre plus de 400 résurgences(1) . Certains fidèles cherchent un hypothétique trésor, scrutent le sol d’anciennes commanderies ou de châteaux ; d’autres veulent déchiffrer leurs graffiti et y trouver un message spirituel ; on commémore plus sûrement leur mémoire comme victimes de l’intolérance religieuse et politique.

A notre époque où la société bafoue les règles morales, où la liberté de pensée est dictée par des organismes multiples, certains rêvent de pureté, de bravoure, de respect de la parole donnée sans avoir à s’inféoder à des idées prodiguées par la presse ; la chevalerie conserve encore à notre époque un certain sens de l’honneur.

Au siècle de la communication, nous restons isolés les uns des autres, sans véritable échange intérieur. Les groupes chevaleresques modernes veulent perpétuer un esprit qui ne correspond plus à nos règles de vie actuelle, mais nous rêvons à un monde meilleur, épuré(2) . Alors nous prêtons à ces nobles chevaliers des qualités illusoires car, épris d’idéalisme, nous voulons naviguer à contre-courant.

Il est parfois enseigné que cet Ordre a construit nos cathédrales, qu’il a apporté la connaissance du “trait ” aux Compagnons du Tour de France, alors que cette règle permettant de résoudre des problèmes techniques par la statique graphique est déjà évoquée par l’architecte romain Vitruve vivant vers -85 à +26 de notre ère. Ce serait aussi méconnaître les constructions mérovingiennes où les principes de l’architecture sont déjà rigoureusement exploités ; ne faut-il pas également se souvenir que des ordonnances de Charlemagne en 769 interdisent le rassemblement de ces ouvriers turbulents, ce qui prouve qu’une sorte de Compagnonnage possédait déjà une organisation pouvant inquiéter le pouvoir royal ; les Templiers se sont formés beaucoup plus tard, en 1118.

Cherchons à cerner les faits historiques essentiels, en éliminant l’organisation matérielle du Temple, son enrichissement financier, son rôle de banquier.

Au début du XIème siècle les relations entre Chrétiens et Musulmans se détériorent ; l’accès aux Lieux Saints n’est plus possible pour les Occidentaux : les Croisades ont pour but de les rendre accessibles. En dehors de ce souci religieux, les marchands cherchent à retrouver les routes de leurs négoces et ils sont prêts à financer une aide militaire ; les nobles entrevoient la possession de nouveaux fiefs, de nouveaux titres. Les trois centres d’intérêts s’allient et huit “ saintes croisades ” s’étagent du XI° au XIII° siècle afin de délivrer Jérusalem(3) .
 

  • 1°. Prêchée en 1095 sous le pape Urbain II ; la croisade va de 1096 à 1099. La première expédition menée par Pierre l’Ermite est écrasée par les Turcs ; la seconde permet de s’emparer de Nicée, Edesse, Tarse, Antioche et Jérusalem dont Godefroy de Bouillon devient roi en 1100.
  • 2°. Prêchée par Bernard de Clairvaux à Vézelay en 1146 ; elle va de 1147 à 1149. Edesse est aux mains des Turcs ; Conrad II et Louis VII assiègent vainement Damas.
  • 3°. Prêchée à Gisors en 1188 par l’archevêque Guillaume de Tyr, puisque la ville de Jérusalem a été reprise par Saladin en 1187.
  • 4°. Prêchée en 1201 par Foulques de Neuilly (Pontificat d’Innocent III). Menée de 1202 à 1204 par Boniface II de Montferrat et Baudouin IX de Flandre ; mise à sac de Constantinople en 1204. Fondation de l’empire latin de Constantinople qui dure jusqu’en 1261.
  • 5°. Menée de 1217 à 1221 par Jean de Brienne , roi de Jérusalem, et André II, roi de Hongrie.
  • 6°. Menée de 1228 à 1229 par l’empereur Frédéric II
  • 7°. Menée par le roi Louis IX de 1248 à 1254. Défaites successives ; saint Louis abandonne Damiette pour retrouver sa liberté.
  • 8°. Menée en 1270 par Louis IX (saint Louis) ; échec ; atteint de la peste, le roi meurt à Tunis en 1270,

  • Il faut ajouter les pénibles croisades des pauvres en 1198 et celle des Enfants en 1212 où Etienne entraîne d’Auvergne (Cloyes) 30.000 enfants tandis que Nicolas part de Cologne et de Basse-Lorraine avec 2.000 enfants, qui tous périssent avant d’avoir pu atteindre les Lieux saints(4) .

    De ces croisades, on rapporte le goût du luxe oriental, mais aussi des objets-souvenirs, des reliques vendues à prix d’or et qui, exposées dans nos églises, en transforment le plan afin que chaque pèlerin puisse être imprégné de leur fluide (création des absidioles et des bas-côtés, la nef ne suffisant plus à l’exposition de ces reliques) ; on conserve l’attrait et le culte de la lumière facilitant le passage de l’art roman à l’art gothique, inventé en Ile-de-France (région de Morienval, puis Saint-Denis).

    Les principes techniques de cette architecture qui rompt avec la voûte en plein cintre utilisée par les Romains, autrefois ennemis du Christianisme, sont très particuliers par la répartition des tensions et des forces équilibrant l’édifice ; ils n’ont aucun rapport avec les constructions des Musulmans, mais l’ogive, arc brisé, entre plus largement dans nos constructions en lui donnant une impression d’envol.

    En général, on considère cinq grands ordres de Chevalerie créés en Terre sainte ; ils ont pour mission d’aider et de défendre les pèlerins tout en étant de vocation à la fois religieuse et guerrière . Ce sont :
     

  • — L’ordre de Saint-Lazare de Jérusalem, fondé vers 1060.
  • — L’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, dit de Malte, ou ordre de Saint-Jean de Jérusalem, fondé vers 1080.
  • — L’ordre du Saint-Sépulcre, fondé vers 1099.
  • — L’ordre de la Milice du Christ, dit ordre du Temple, fondé en 1118, supprimé en 1312, le supplice du grand maître Molay ayant eu lieu en 1314.
  • — L’ordre de Sainte-Marie des Teutoniques, fondé en 1190 et existant de nos jours sous une forme fort altérée (ne recrute que parmi la noblesse allemande).

  • On peut y ajouter les ordres de la Toison d’Or, de Saint-Michel et celui de Sion.

    Les couleurs qui figurent sur les manteaux sont : blanc pour Malte (sur fond rouge), rouge pour le Temple et le Saint-Sépulcre, vert pour Saint-Lazare, noir pour les Teutoniques.

    Godefroy de Bouillon, comte de Boulogne, duc de Brabant, a été élu le 22 juillet 1089 roi de Jérusalem, mais il ne se déclare que le défenseur du Saint-Sépulcre. Son frère comte d’Edesse est couronné roi de Jérusalem sous le nom de Baudoin I le 25 décembre 1100 et règne jusqu’à sa mort le 2 avril 1118. A Baudoin Ier, succède son cousin germain, Baudoin II (14 avril 1118-21 août 1131).

    L’ordre de la Sainte-Trinité, Ordre des Pauvres Chevaliers du Christ, est fondé à Jérusalem aux environs du 27 décembre 1118 par Hugues de Payens avec huit autres chevaliers francs(5) . Baudoin I, roi de Jérusalem, leur ayant donné pour siège des dépendances du Temple de Salomon détruit, cet ordre prend le nom de Ordre du Temple. Une autre partie des bâtiments est occupée par la mosquée d’Omar.

    Le 14 janvier 1128, au concile de Troyes présidé par le légat apostolique (le seigneur évêque d’Albano), l’Ordre du Temple reçoit la règle de Saint Augustin, des mains de Bernard de Clairvaux, cousin ou oncle du fondateur. Bernard de Clairvaux a très peu participé à cette rédaction pour laquelle il n’est guère enthousiaste (6) . Cet ordre doit servir Dieu dans la prière et l’amour d’autrui et en même temps s’engager dans une profession armée : “un double combat, à la fois contre la chair, et contre les esprits de malice répandus dans les airs” ; “le corps était recouvert d’une armure de fer et l’âme d’une armure de foi”. La croix rouge à 8 pointes (croix des huit Béatitudes), leur est octroyée par le pape Eugène III, le 22 avril 1147. La règle est du type monacal cistercien; la robe est blanche.

    Ces nouveaux moines-soldats se font remarquer par leur courage, leur ténacité et ce petit groupe prospère rapidement. D’après la Règle donnée au Concile de Troyes, l’Ordre est dirigé par le Maître du temple qui n’a cependant qu’une voix dans le chapitre ; le Sénéchal peut remplacer le Maître ; puis viennent le Maréchal responsable de la discipline, des Commandeurs de province puis ceux des maisons et des chevaliers ; les chapelains relevant directement du pape célèbrent les offices religieux.
    Les chevaliers ont un écuyer et trois chevaux. A la fin des croisades pour lesquelles l’ordre avait été créé, les chevaliers ont perdu leur rigueur d’origine : ils perdent des batailles, capitulent, vivent dans l’opulence de banquiers. Après la chute de Jérusalem, ils s’installent à Saint-Jean d’Acre d’où ils sont chassés par les Sarrazins en 1291 ; ils séjournent dans l’île de Chypre et placent finalement leur Maison-Mère à Paris. Les Templiers auraient été environ 15.000, dont 2.000 en France.

    L’Ordre du Temple n’a pas eu la vocation d’un ordre constructeur, mais il a fait entretenir et même construire églises et châteaux par des spécialistes, les Compagnons du Tour de France ; trop souvent, on leur prête le caractère de maîtres d’œuvre. Leur mission est fort différente de celle des frères Pontifes, plus particulièrement réalisateurs du pont d’Avignon dont les ruines font encore notre admiration pour sa technique fort aboutie.

    On a exprimé l'idée que les Templiers avaient fait établir des églises circulaires, comme à Londres, Laon, Metz, ce qui est sans doute un rappel du Saint-Sépulcre de Jérusalem et dont le plus bel exemple figure à Neuvy-Saint-Sépulchre (36230) construit en dehors de l’emprise templière. L’église rayonne dans toutes les directions et marque tous les individus ; elle symbolise un centre du monde, le lieu sacré par excellence où tous les influx convergent ; mais déjà Charlemagne à Aix-la-Chapelle avait fait réaliser un lieu semblable, le “ centre ” de son empire. Louis Hautecœur(7) et surtout Elie Lambert(8) ont apporté d’utiles précisions sur ces réalisations. Retenons aussi que la remarquable et sensuelle Vera Cruz, près de Ségovie, souvent classée dans l’architecture templière, a été construite par les Arabes et seulement rénovée par les Templiers. D’une manière générale, ceux-ci ne construisent pas, mais font renforcer de nombreux ouvrages, principalement militaires afin d’accomplir leur mission : sauvegarder les pèlerins. Il se peut que parmi eux un membre, plus spécialement attiré par les problèmes architecturaux, ait eu des relations avec quelques spécialistes, ce qui ne peut nous conduire à décréter que cet Ordre a possédé des méthodes particulières dans l’art de construire, qu’il a édicté des méthodes — dont le trait — ; les églises templières sont le plus souvent des petites chapelles, fort simples, de petites dimensions, des lieux établis pour le recueillement.

    Après la période des guerres saintes, abandonnant leur mission spirituelle, les Templiers se consacrent à des tâches profanes, la gérance des biens, des commanderies, des fermes ; souvent orgueilleux, arrogants, ils ne sont guère estimés par le peuple. L’image de l’Ordre s’est considérablement altérée.

    Depuis une trentaine d’années, ils n’ont plus de combats à soutenir. En 1307, après une succession de vingt-deux grands maîtres, le pape Clément V, l’obligé du roi de France Philippe IV le Bel, demande à Jacques de Molay, alors grand maître, de procéder à la réforme de sa milice. Les événements s’accélèrent : au matin du vendredi 13 octobre 1307, les chevaliers français sur ordre de Philippe le Bel sont arrêtés dans leurs commanderies. A la suite de la procédure inquisitoriale, avec application de la torture, Philippe le Bel, conseillé par Nogaret, démontre l’opprobre d’un ordre religieux qui cracherait sur le crucifix (9) , renierait Dieu, pratiquerait l’homosexualité, aurait entretenu d’excellents rapports avec les Musulmans et les troupes du Vieux de la Montagne. Effectivement, l’Ordre du Temple, s’il a combattu l’Ordre des Assassins commandé par Hussan Sabah, le Vieux de la Montagne, a eu durant les trêves des contacts avec des cavaliers défenseurs de leur idéologie, un ordre bien semblable au leur(10) . ; ils ont connu la tradition des chevaliers musulmans ; ces deux Ordres vivent les mêmes rites de la chevalerie ; les Templiers deviennent les «chevaliers d’Orient et d’Occident» tout en paraissant être restés à l’écart du soufisme, l’ésotérisme de la foi musulmane.

    Au concile de Vienne, le 13 octobre 1311, l’Ordre est aboli ; supprimé, il n’est cependant pas condamné, fait confirmé le 3 avril 1312 (bblle Vox Clamantis) ; par la Bulle Ad Providam Christi Vicarii du 2 mai 1312, les biens des Templiers reviennent à l’Ordre de l’Hôpital dit les Chevaliers de Rhodes (créé en 1309) qui deviendra l’Ordre des Chevaliers de Malte en 1530 ; Clément V se réserve le droit juger les dignitaires de l’Ordre (6 mai 1312 , bulle Considerantes).

    Seuls les Templiers français sont poursuivis, alors que dans les autres pays ils ne sont pas inquiétés. Cependant, Jacques de Molay, son grand maître, a reconnu tous les crimes qu’on leur impute, mais revenant sur ses déclarations, comme relaps, il est brûlé vif à Paris, dans l’île de la Cité, le 18 mars 1314, avec le précepteur de Normandie, Geoffroy de Charnay et quelques autres dignitaires, sur la seule décision du roi de France ; la justice pontificale n’a pas eu à se prononcer. Sont rendus responsables de cet affreux supplice Philippe IV le Bel, Guillaume de Nogaret et Bertrand de Got, ancien archevêque de Bordeaux devenu Clément V, le premier pape installé en Avignon. Les dernières paroles de Jacques de Molay assignant ses bourreaux à comparaître devant le tribunal de Dieu paraissent appartenir à la légende ; cette malédiction apocryphe se base sur les morts du roi, de son conseiller et du pape, dans la même année.

    Les successeurs de Clément V — et principalement le pape français Jacques Duès devenu Jean XXII— se montrent beaucoup plus indulgents envers l’Ordre abattu et autorisent les Templiers à se faire oublier ou à rejoindre d’autres Ordres religieux en Ecosse (dont l’Ordre protégé par Robert I est supprimé lors de la Réforme) et au Portugal (Ordre du Christ à Tomar). L’Espagne revendique avoir conservé des éléments dans l’Ordre militaire de Montessa en Aragon (10 juin 1317).

    Ainsi, au Portugal, le roi Denis Ier a demandé le maintien de l’Ordre du Temple sous le nom de Chevaliers du Christ avec la règle de Calatrava, identique à celle du Temple ; en 1366, leur siège est fixé à Tomar. Il en est de même en Espagne où le nouvel Ordre de Montessa devient honorifique en 1542. En Ecosse, le roi Robert Bruce l’intitule Ordre du Chardon de Saint-André d’Écosse ; en 1593, trente-deux de ces chevaliers établissent la Rose-Croix Royale qui d’Invisible Collège devient, en 1662, la Royal Society qui influence la formation moderne de la Franc-Maçonnerie.

    Cependant l’affreux supplice des Templiers connus pour leur remarquable organisation, a fait naître bien des phantasmes qui venus à notre époque ont donné libre cours à l’imaginaire sans support historique ; on a désiré reconstituer cet Ordre dépendant du Saint-Siège de Rome. La dissolution ayant été prononcée par le pape, seul le Saint-Siège — et les Ordinaires dûment constitués par lui — ont le droit d’estimer si tel groupe peut ressusciter ou non. Clément XIV, dans son bref du 21 juillet 1773, a rappelé la suppression de cette institution religieuse.

    Si des Templiers échappés au massacre ont pu continuer de vivre en communauté, ils n’ont pu constituer qu’un faux Ordre, le vrai étant frappé d’interdit par la seule autorité compétente en matière religieuse. L’Osservatore Romano (n° 30 du 24 juillet 1970) nous met en garde contre les associations qui se prévalent de filiations illusoires. Il est fort possible que quelques Templiers se soient réfugiés individuellement près des Compagnons du Tour de France, dans des grottes comme à Jonas en Auvergne, ou qu’ils soient partis à l’étranger. Par contre, de nombreux groupes constitués sans aucune filiation prétendent être les héritiers légitimes du Temple, dont ils auraient conservé un dépôt spirituel. Mais que savons-nous exactement de leur pensée qui, depuis 1314, n’est guère comparable à la nôtre, les conditions de l’environnement étant fort diversifiées ?

    Se ralliant à la connaissance traditionnelle, on a commenté une règle ésotérique secrète qui aurait été pratiquée par lesTempliers ; trouvée dans les archives de la Grande Loge d’Hambourg, publiée par Mertzdorff en 1877, celle-ci s’est révélée être un faux. Probst-Biraben, dans Les Mystères des Templiers, Albert Lantoine(11) , René Le Forestier(12) , puis Dailliez(13) , ont analysé ces documents trop souvent interprétés selon une optique partisane ; de cet Ordre chevaleresque religieux, nous n’avons aucune trace d’un rituel initiatique secret, mais il est évident que, pour la bonne marche de leur groupe, les responsables avaient des réunions en dehors des simples chevaliers et de leurs servants, ce qui n’implique pas des réunions ésotériques avec un cérémonial particulier. De même, on cherche encore en vain leur trésor matériel qui a été réparti entre les ordres monastiques suivant les décisions papales.Ce qui n’empêche pas que de nombreuses légendes affirment que des membres ont été mandatés pour poursuivre leurs activités, “ secrètes ” bien entendu. Voici les trois filiations les plus en vogue :
     

  • 1) Filiation de Beaujeu . Jacques de Molay aurait communiqué les secrets de l’Ordre à son neveu, le comte de Beaujeu ; il lui aurait remis les trois clefs des trésors du Temple ; celui-ci avec neuf chevaliers (Les Neuf Architectes parfaits ?) aurait perpétué cet esprit et à sa mort aurait désigné le Chevalier Pierre d’Aumont comme son successeur.
  • 2) Filiation d’Aumont La Stricte Observance Templière et le baron de Hund mêlent l’action du chevalier d’Aumont à celle de trois chevaliers réfugiés à Hérodown en Ecosse, avec les Chevaliers de Saint-André du Chardon, ce qui donnera naissance au Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte (CBCS).
  • 3) Filiation Larmenius. Jacques de Molay aurait investi de sa puissance le frère Jean-Marc Larmenius en 1324, un vénérable chevalier “ne sachant ni lire ni écrire ” (comme Jacques de Molay, mais n’est-ce pas là une expression tardive montrant l’humilité de l’être ?). Cette filiation a donné une suite impressionnante de noms célèbres comme Bertrand Du Guesclin, les d’Armagnac, Montmorency, Bourbon, Philippe d’Orléans, le duc de Cossé-Brissac, pour aboutir à Bernard-Raymond Fabré-Palaprat (1773-1838,) ancien prêtre, médecin, qui rénove l’Ordre du Temple et fonde une église chrétienne se référant à saint Jean, dont la doctrine des Chrétiens Primitifs est imprimée en 1831 sous le titre Lévitikon ; il y intègre un courant maçonnique. Produisant des documents (fabriqués par ses soins), à la suite des noms les plus illustres, Fabré-Palaprat se déclare le 22ème Grand Maître le 4 novembre 1804 ; le 18 mars 1808, jour anniversaire de la mort de Jacques de Molay, il organise une cérémonie officielle somptueuse et fort pittoresque dans l’église Saint-Paul à Paris ; il bénéficie d’un détachement d’infanterie impériale. Napoléon et Louis XVIII reconnaissent Fabré-Palaprat comme Grand Maître de l’Ordre.

  • Albert Lantoine a montré que la charte dite de «Larmenius» était une fabrication de circonstance et prolongeait le mythe chevaleresque mêlant rêves et réalité. Trop de légendes continuent de circuler à leur propos et il est regrettable que les Hauts Grades de la Maçonnerie entretiennent quelque peu cette fiction qui ne repose sur aucun fait historique ; dans le Compagnonnage, on assimile parfois Maître Jacques à Jacques de Molay, dernier Grand Maître de l’Ordre du Temple. Ce “Templarisme” maçonnique continue cependant à marquer certains Maçons. On se réfère au Discours de Ramsay (1686-1743) qui, cependant, en 1736, ne parle pas des Templiers, mais de «Nos ancêtres, les croisés, rassemblés en toutes les parties de la chrétienté dans la Terre-Sainte, voulurent réunir dans une seule confraternité les sujets de toutes les nations”. Ramsay après une Maçonnerie établie à partir des rites du métier de constructeur, aborde un enseignement plus spirituel à partir de la chevalerie et du métier des armes.

    Dans une perspective maçonnique entretenue par les loges, principalement avec les grades de vengeance (chevalier Kadosh), il est affirmé que Humbert Blanc, Précepteur d’Auvergne, se réfugie en Angleterre ; Pierre d’Aumont, Grand Maître provincial d’Auvergne, gagne Heredown en Ecosse, aide le roi Robert Bruce a gagner l’indépendance de son pays par la bataille de Bonnockburn en 1314. En 1754, le chapitre de Clermont confirme cette filiation templière également soutenue par l’obédience maçonnique allemande constituée vers 1751 par le baron Karl von Hund (1722-1776)  et qui émerge sous le nom de Stricte Observance Templière, S.O.T. ; cette Maçonnerie rectifiée proviendrait de l’Ordre du Temple, mais également de la Maçonnerie Ecossaise, œuvre des Stuarts détrônés (branche Jacobite).

    La S.O.T. a sans doute été également influencée par les Chevaliers Porte-Glaive et les Chevaliers teutoniques. Elle veut restaurer l’Ordre du Temple, recouvrer ses trésors en obéissant à ses chefs, les Supérieurs Inconnus. Certains membres prirent ce programme à la lettre et quelques imposteurs profitèrent de la situation. Elle conférait sept grades (apprenti, compagnon, maître, maître écossais, Novice, Templier, Chevalier Profès qui comprenait lui-même plusieurs classes). Hund, en 1772 au convent de Kohlo (1772), allie son groupe au Cléricat de Johann August Starck.

    Ferdinand de Brunswick-Lunebourg-Wolfenbüttel (1721-1792) (Eques a Victoria) en devient le Grand Maître en 1777 (à ne pas confondre avec son neveu Charles-Guillaume de Brunswick qui commandait lors de la bataille de Valmy). Les accords de Kohlo sont dénoncés aux convents de Brunswick (1775), de Wolfenbüttel et de Lyon (1778). A la mort de Hund en 1776, Charles de Sudermanie (futur Charles XIII de Suède) établit des rapprochements avec la maçonnerie suédoise de Zinnendorf, appelée “ Ecole du Nord ”, influencée par l’hermétisme et le rosicrucianisme. Le grade de Chevalier d’Ecossais vert n’était accessible qu’aux nobles. La filiation templière et le mythe des Supérieurs Inconnus ne sont pas reconnus au Convent de Wilhelmsbad (16 juillet - 29 août 1782) qui forme à sa place le Régime Ecossais Rectifié dont les prieurés sont calqués sur l’organisation médiévale, et son degré terminal Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte (CBCS) est un grade plus chevaleresque que maçonnique(14) . Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) confère cette distinction à Ferdinand de Brunswick et à Charles de Hesse.

    L’ordre Templier a ainsi laissé des traces dans les Hauts Grades de la Maçonnerie, principalement dans le Rite Ecossais Rectifié, dans le Rite d’York, dans le Rite Ecossais Ancien et Accepté (chevalier Kadosch 30ème mais aussi 32ème et surtout 33ème),

    Il est maintenant démontré, contrairement à une opinion trop répandue, que les Hauts Grades maçonniques, pas plus que les rites maçonniques des trois premiers degrés, ne sont les héritiers directs des Templiers, pas plus d’ailleurs que les nombreuses sociétés profanes qui s’en réclament. Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, Ordre du Christ au Portugal, (15 mars 1319) est les seul successeur légitime. Le rituel du 30ème degré déclare «Notre grade commémore l’Ordre Templier et s’en inspire sans pour autant prétendre en être le continuateur et l’héritier» ; de même au Rite Ecossais Rectifié “le grade de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte diffère de ce que pouvait être la pensée templière non préoccupée de soufisme, d’alchimie ou de magie. …».
     
     

    Par contre, l’imaginaire suscite les mêmes transports idéologiques et il n’est pas rare de rencontrer hommes ou femmes, aux pieds plats et à la démarche chancelante, se proclamer appartenir à la noble lignée des chevaliers du Temple…
     
     

    Jean-Pierre Bayard.

    NOTES

  • 1 J.P. Bayard Le guide des sociétés secrètes et des sectes (Philippe Lebaud-Le Félin) RETOUR
  • 2 Notons que le “ bar-tabac des Templiers ” (35 rue de Rivoli 75004 Paris) reçoit chaque année les principaux responsables des Commanderies (dont la Milice du Christ, l’Ordre du Temple en France etc.) afin d’évoquer des problèmes généraux concernant les Ordres chevaleresques..RETOUR
  • 3 Louis Bréhier Les institutions de l’Empire byzantin (Albin Michel 1949) / Antony Bridge Les croisades (Denoël 1983)/ Francesco Gabrieli Chroniques arabes des croisades (Sindbad 1977) / René Grousset Les Croisades (PUF-Quadrige 1994) / Paul Lacroix Vie militaire et religieuse au moyen-âge (Firmin Didot 1876) ; La chevalerie et les croisades (1887, Idegraf 1985). / Michaud Histoire des croisades 100 gravures de Gustave Doré (Furne et Jouvet 1877, 2 vol.) / Georges Tate L’orient des croisades (NRF 1991).RETOUR
  • 4 J. Delalande Les extraordinaires croisades d’enfants et de pastoureaux au moyen-âge (Lethielleux 1962) RETOUR
  • 5 Hughes de Payens (ou Payns), Geoffroy de Saint-Omer, André de Montbard Payen de Montdidier, Archambaud de Saint-Aignan, Geoffroy Bisot, Hugues Rigaud, Gondemare, Robert de Craon,). La lignée champenoise est plus crédible que celle qui proviendrait d’une famille Payens de l’Ardèche; (Veyrines) RETOUR
  • 6 Bernard de Claivaux De Laude Novae Militae ad Militei Templi (Migne Pat. Lat. p. 918) RETOUR
  • 7 Louis Hautecœur Mystique et architecture (Picard 1954) RETOUR
  • 8 Elie Lambert L’architecture des Templiers (Picard 1955) RETOUR
  • 9 . Il est à souligner qu’on honore alors le Christ en majesté et non le Christ sur sa croix de souffrance, comme on peut le constater aux tympans des églises.RETOUR
  • 10 Jean-Claude Frère L’ordre des Assassins ‘CAL, Grasset 1973) / J. de Hammer Histoire de l’Ordre des assassins P. Paulin 1833) RETOUR
  • 11 Albert Lantoine La Franc-Maçonnerie dans l’Etat ( Réédition Slatkine 1982 p. 403-408) RETOUR
  • 12 Albert Lantoine: La Franc-Maçonnerie dans l’État, p. 403-408 (Réimpression Slatkine 1982). René Le Forestier: La Franc-Maçonnerie templière et occultiste (p. 943). publié par Antoine Faivre ( Aubier-Montaigne 1970) RETOUR
  • 13 Laurent Dailliez Les Templiers ces inconnus (Perrin 1972 ; Marabout 12 Albert Lantoine: La Franc-Maçonnerie dans l’État, p. 403-408 (Réimpression Slatkine 1982). René Le Forestier: La Franc-Maçonnerie templière et occultiste (p. 943). publié par Antoine Faivre ( Aubier-Montaigne 1970) RETOUR
  • 14 Pierre Girard-Augry Les hauts grades chevaleresques de la Stricte Observance Templière (Dervy 1995 p. 294-320)
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