XXXXI - 1 - Quand un lettré d'une grande élévation entend parler du Tao, il
s'applique à le suivre avec zèle. Quand un lettré moyen entend parler du Tao,
tantôt il le suit, tantôt il le délaisse. Quand un lettré inférieur entend
parler du Tao, il le tourne en dérision; même s'il n'en rit pas cela ne
signifie pas qu'il le suive.
XXXXI - 2 - C'est pourquoi il est une tradition qui dit: pour le Tao, le
lumineux est comme obscure; avancer comme reculer; étranger est comme
familier. Pour la suprême vertu, élévation est comme abaissement, candeur
comme honte, générosité comme parcimonie, vertu bien établie comme perversité,
probité comme malhonnêteté, véracité
simple comme duplicité.
XXXXI - 3 - Grand carré sans angle, grand vase inachevé, grande mélodie
silencieuse, grande image sans contours: le Tao est caché et n'a pas de nom,
cependant sa vertu soutient et accomplit tout.
XXXXII - 1 - Le Tao a produit Un, Un a produit deux, deux a produit trois,
trois a produit les dix mille êtres.
XXXXII - 2 - Les dix mille êtres fuient le repos et l'obscurité; ils vont vers
le mouvement et l'éclat; un souffle immatériel forme l'Harmonie.
XXXXII - 3 - Ce que les hommes détestent, c'est d'être seuls, délaissés,
incapables; cependant c'est ainsi que les princes et les rois se qualifient
eux-mêmes.
XXXXII - 4 - C'est pourquoi, parmi les êtres, les uns se diminuent en
s'augmentant et les autres s'augmentent en diminuant.
XXXXII - 5 - Ce que j'enseigne est la Doctrine traditionnelle: poutre
faîtière que la mort n'atteint pas. Je m'applique à agi selon les ères de la
Tradition.
XXXXIII - 1 - Ici-bas, ce qui est le plus malléable l'emporte sur ce qui est
dur.
XXXXIII - 2 - Le Non-Etre pénètre l'impénétrable; c'est par cela que je
connais la suprême efficacité du Non-agir.
XXXXIII - 3 - La maîtrise par le silence, la vertu surabondante par le
Non-agir; rare; dans le monde, sont ceux qui les atteignent.
XXXXIV - 1 - Du renom ou de la personne, à quoi tient-on le plus: De la
personne ou des richesse qu'est-ce qui importe le plus. Du gain ou del a
perte, lequel est affligeant;
XXXXIV - 2 - De fortes affections exigent de grands sacrifices;
l'accumulation des biens entraîne de lourdes pertes.
XXXXIV - 3 - Savoir se suffire exempte de revers; savoir s'arrêter
préserve du danger, et permet de durer longtemps.
XXXXV - 1 - La perfection accomplie semble incomplête, mais elle sert sans
s'user.
La grande plénitude paraît vide, mais elle donne sans s'épuiser.
La grande droiture semble courbe, la grande habileté paraît maladroite, la
grande éloquence semble bégayer.
XXXXV - 2 - La vivacité triomphe du froid, le calme triomphe
de l'ardeur.
Sous l'influence du calme pur, le monde se rectifie.
XXXXVI - 1 - Quand le monde a le Tao, on renvoie les chevaux aux champs.
Quand le monde n'a plus le Tao, les chevaux de combat se multiplient dans les
faubourgs.
XXXXVI - 2 Il - n'est pas de plus grande erreur que vouloir satisfaire
ses désirs ; il n'est pas de plus grande misère que de ne pas savoir se
suffire
Il n'est pas de pire calamité que le désir de posséder.
TAO XXXXVI - 3 - C'est pourquoi celui qui sait se contenter de peu est
toujours satisfait
XXXXVII - 1 - Sans franchir sa porte, on connaît l'Univers ; sans regarder par
sa fenêtre, on voit le Tao duCiel.
XXXXVII - 2 - Plus on sort et s'éloigne de soi, moins on acquiert la
connaissance de soi.
XXXXVII - 3 - C'est pourquoi le Saint-homme arrive sans se mouvoir, nomme
sans regarder, et accomplit sans agir.
XXXXVIII - 1 - En s'adonnant à l'étude, on augmente chaque jour; en se
consacrant au TAO, on diminue chaque jour; on ne cesse de diminuer,
jusqu'à ce qu'on atteigne le non-agir. Par le non-agir il n'est rien que l'on
ne puisse faire, certes !
XXXXVIII - 2 - Pour recevoir l'Empire, l'unique moyen est de ne rien faire
pour cela. Tant que l'on agit pour y parvenir, on ne peut gagner l'Empire.
XXXXIX - 1 - Le Saint-Homme n'a pas un coeur immuable, parce qu'il est le
coeur des coeurs des Cent familles.
XXXXIX - 2 - Je suis bon pour qui est bon et je suis bon avec qui ne l'est
pas.
C'est la bonté de la Vertu, certes! Je suis sincère avec celui qui est sincère
et sincère avec celui qui ne l'est pas.C'est la véracité
de la Vertu, certes !
XXXXIX - 3 - Le Saint-Homme vivant dans le monde est craintif 1 craintif !
parce que son coeur est celui du monde entier : dans les Cent familles tous
le regardent et l'écoutent
Tous sont ses enfants.
L - 1 - Sortir dans la vie, c'est entrer dans la mort.
L - 2 - Trois sur dix sont les compagnons de la vie; trois sur dix sont les
compagnons de la mort;
trois sur dix enfin, dans la vie de l'homme, mettent en mouvement la terre de
la mort.
Pourquoi cela ? Parce qu'ils vivent leur existence avec trop d'intensité.
L - 3 - En effet, j'ai appris que celui qui excelle harmoniser sa vie peut
cheminer sans se garer
du rhinocéros ou du tigre, entrer dans la bataille sans cuirasse et sans
armes, car rien, en lui, n'est vulnérable à la corne, à la griffe ou au
glaive. Pourquoi cela ? Parce qu'il n'appartient plus à la terre
de la mort.
LI - 1 - Le Tao donne la vie aux êtres, sa Vertu les nourrit. Ainsi, les êtres
revêtent un corps, et, par une impulsion naturelle, rendent parfait leur
développement.
LI - 2 - C'est pourquoi, parmi les dix mille êtres, il n'en est aucun qui ne
révère le TAo et n'honore sa Vertu. Cette vénération pour le Tao, ce respect
pour la Vertu ne sont pas ordonnés, mais toujours spontanés. Car le Tao
produit, nourrit, fait croître, protège, parfait, mûrit, entretient, soutient
tous les êtres.
LI - 3 - Il les fait naître sans se les approprier; ils agissent, et. il
n'attend rien d'eux; ils croissent,
et il les laisse libres.
LI - 4 - C'est ce qu'on appelle la Vertu mystérieuse,
LII - 1 - L'Univers a commencé, grâce à la Mère de l'Univers. Si l'on
obtient la
Mère, on a le moyen de connaître ses enfants. Lorsque l'on connaît les
enfants, et que l'on reste uni à la Mère, la mort est
sans péril.
LII - 2 - Qui clôt sa bouche et ferme ses portes, ne sera point ébranlé
jusqu'à la fin
de ses jours. Qui ouvre sa bouche, et se passionne pour ses affaires arrive
au terme de sa vie sans être délivré.
LII - 3 - Qui perçoit ce qui est infime est éclairé. Qui garde sa faiblesse
est fort.
Qui use de sa simplicité, rentre dans sa lumière, et n'attire pas sur sa
personne de fatales épreuves.
LII - 4 - Cela s'appelle hériter de l’éternel.
LIII - 1 - Si l'on me confiait une fonction gouvernementale, voici ce
que j'enseignerais : "Marchez vers le Grand Tao; craignez seulement de vous
mettre en vue". La Grande Voie est toute simple, mais le peuple préfère les
sentiers.
LIII - 2 - Quand les palais sont trop bien entretenus, les terres sont
incultes, les greniers vides. Porter des habits somptueux, des épées
tranchantes, se gaver de nourriture et de boissons, accumuler des riehesses,
c'est glorifier le vol. Ce n'est pas le Tao, certes !
LIV - 1 - Celui qui fonde sur le Bien ne craint pas la destruction. Celui qui
s'attache fermement au Bien ne sera pas dépouillé, ses fils et ses petits-fils
lui feront des offrandes perpétuellement.
LIV - 2 - Cultivée dans sa personne, sa vertu sera spontanée; cultivée
dans sa famille, sa vertu augmentera; cultivée dans sa province, elle
s'étendra; cultivée dans son royaume, elle sera florissante; cultivée dans
l'Empire, elle deviendra universelle.
LIV - 3 - C'est ainsi que, par l'individu, on connaît les individus, par la
famille on connaît les familles, par la province on connaît les provinces,
par le royaume on connaît les royaumes, par l'Empire on connaît
l'Univers.
LIV - 4 - Comment sais-je qu'il en est ainsi de l'Univers? Grâce
à cela.
LIV - 1 - Celui qui fonde sur le Bien ne craint pas la destruction. Celui qui
s'attache fermement au Bien ne sera pas dépouillé, ses fils et ses petits-fils
lui feront des offrandes perpétuellement.
LIV - 2 - Cultivée dans sa personne, sa vertu sera spontanée; cultivée
dans sa famille, sa vertu augmentera; cultivée dans sa province, elle
s'étendra; cultivée dans son royaume, elle sera florissante; cultivée dans
l'Empire, elle deviendra universelle.
LIV - 3 - C'est ainsi que, par l'individu, on connaît les individus, par la
famille on connaît les familles, par la province on connaît les provinces,
par le royaume on connaît les royaumes, par l'Empire on connaît
l'Univers.
LIV - 4 - Comment sais-je qu'il en est ainsi de l'Univers? Grâce
à cela.
LV - 1 - Celui qui recèle en lui la grandeur de la Vertu ressemble au
nouveau-né que les bêtes venimeuses ne piquent pas, que les fauves ne
déchirent pas, que les oiseaux de proie n'enlèvent pas.
LV - 2 - Ses os sont faibles, ses tendons mous; cependant il saisit avec
force. Bien qu'il ignore l'union des sexes, il manifeste un orgasme viril,
tant est parfaite l'âme vitale. Il crie tout le jour sans être enroué, tant
est parfaite l'harmonie.
LV - 3 - Connaître l'Harmonie, c'est connaître l'éternel; connaître l'éternel,
c'est être illuminé.
LV - 4 - Vivre intensément ne rend pas heureux. L'action du coeur sur l'âme
vitale rend fort; mais les êtres forts vieillissent. C'est l'opposé du Tao, et
ce qui est opposé au Tao dépérit.
LVI - 1 - Celui qui sait ne parle pas; celui qui parle ne sait pas.
LVI - 2 - Clore sa bouche, fermer ses portes, tempérer son ardeur, se dégager
de ses liens, harmoniser sa lumière, s'assimiler à son milieu, cela s'appelle
la mystérieuse union.
LVI - 3 - On ne peut l'obtenir et avoir des affections; on ne peut l'obtenir
et faire
des différences; on ne peut l'obtenir et réaliser des profits; on ne peut
l'obtenir et léser autrui; on ne peut l'obtenir et apprécier ceci, déprécier
cela.
LVI - 4 - C'est pourquoi elle est ce qu'il y a de plus précieux
au monde.
LVII - 1 - Avec la droiture on gouverne un royaume; avec du génie on fait la
guerre; mais l'Empire, on le gagne grâce au Non-agir. Comment sais-je qu'il en
est ainsi pour l'Empire ? Par cela : plus il y a de règlements et de
prohibitions dans l'Empire, plus le peuple s'appauvrit; plus le peuple a de
moyens de s'enrichir, plus la vie familiale se trouble dans la nation ; plus
le peuple est habile et ingénieux, plus on voit surgir des inventions inutiles;
plus le flot des règlements et des lois monte, plus il y a de malfaiteurs et
de bandits.
LVII - 2 - C'est pourquoi le Saint-Homme dit: "Je pratique le Non-agir et le
peuple se transforme de lui-même, j'observe le calme pur et le peuple se
rectifie delui-même, je n'agis pas pour le lucre et le peuple s’enrichit de
lui-même, jesuis sans désirs et le peuple revient à
la simplicité primitive.
LVIII - 1 - Lorsque le gouvernement est simple et indulgent, le peuple est
riche et
généreux; lorsque le gouvernement est formaliste et tracassier, le peuple est
besogneux et mesquin.
LVIII - 2 - Le bonheur repose sur le malheur; le malheur couve sous le
bonheur. Qui connaît leur apogée respective ?
LVIII - 3 - Si le gouvernement est sans droiture, la droiture devient erreur,
et le bien devient pervertit,. Les hommes sont égarés et cela dure depuis
longtemps.
LVIII - 4 - C'est pourquoi le Saint-Homme prescrit sans blesser, exhorte sans
vexer, rectifie sans contraindre, éclaire sans ,éblouir.
LIX - 1 - Pour gouverner les hommes en serrant le Ciel, rien ne vaut la
modération.
LIX - 2 - La modération doit être le premier soin de l'homme; quand elle est
devenue son premier soin, on peut dire que la Vertu augmente sans cesse en
lui. Par cet accroissement continu de la Vertu, il n'est rien dont il ne
soit capable. Lorsqu'il n'y a rien dont il ne soit capable, on ne peut
connaître ses limites. Lorsqu'il est impossible de connaître ses
limites, il peut posséder le royaume.
LIX - 3 - Qui posséde la Mère du royaume dure sans fin. C'est la racine
profonde, le tronc inébranlable, la voie de la vie amplifiée et de la
connaissance durable.
LX - 1 - On gouverne un grand Etat comme on fait frire un petit poisson. Si
l'Empire est gouverné selon le Tao, ses entités invisibles ne montrent pas
leurs force. Non pas que ces entités soient impuissantes mais elles ne
nuisent pas aux hommes. Non pas qu'elles ne puissent nuire aux hommes, mais
parce que le Saint-Homme, lui non plus, ne nuit pas aux hommes. Ni le
Saint-Homme, ni ces entités ne les blessent, ni ne se blessent
réciproquement.
LX - 2 - N'est-ce pas parce que la Vertu les unit dans un accord mutuel
?
LXI - 1 - Un grand pays doit être le lieu bas vers quoi tout s'écoule, un
centre d'union pour l'Univers, la femelle du Monde.
LXI - 2 - La femelle triomphe toujours du mâle par sa passivité. Passive, elle
agit en s'abaissant.
LXI - 3 - C'est pourquoi un grand pays qui se penche vers un plus petit
l'attire à lui; de même le petit pays, en s'inclinant devant le grand, gagne
sa protection. Ainsi l'un accueille en s'abaissant, l'autre est accueilli en
s'inclinant.
LXI - 4 - Un grand pays n'a pas de plus grand désir que de rassembler et faire
vivre les peuples; une petite nation n'a pas de plus grand d,sir que de
s'allier aux autres pour servir les hommes.
LXI - 5 - Or, pour qu'ils obtiennent ce qu'ils souhaitent, il faut que le
grand pays s'abaisse.
LXII - 1 - Le Tao est l'asile mystérieux des dix mille êtres, le trésor de
l'homme de bien, le salut du pervers.
LXII - 2 - On peut rechercher les bonnes paroles, admirer les actes généreux
qui ennoblissent l'homme mais pourquoi rejetterait-on ce qui vient du
méchant ?
LXII - 3 - C'est ainsi que fut établi un empereur pour gouverner avec trois
ministres. Bien qu'il ait les bijoux de jade pour le salut rituel avec les
deux mains, et des quadriges de chevaux pour les cortèges solennels, cela ne
vaut pas progresser dans le Tao en restant assis.
LXII - 4 - Qu'est-ce qui motivait la haute estime des Anciens pour le Tao?
C'est qu'aussitôt qu'on le cherche on le trouve en soi-même, et qu'il délivre
du mal. C'est pourquoi il est ce qu'il y a de plus précieux au
monde.
LXIII - 1 - Pratiquer le Non-agir, c'est oeuvrer dans l'inaction, goûter ce
qui est sans saveur, grandir le petit, augmenter le peu, répondre aux offenses
par la Vertu, ,laborer le difficile dans le facile, faire de grandes choses
avec ce qui est ténu.
LXIII - 2 - Dans l'Univers, les oeuvres difficiles doivent se faire par le
facile, les grandes choses doivent s'accomplir par l'imperceptible.
LXXX - 3 - Aussi, le Saint-Homme, jusqu'à la fin, n'entreprend rien de grand;
c'est pourquoi il peut accomplir sa grandeur.
LXIII - 4 - Qui promet à la légère mérite certainement peu de confiance; qui
trouve tout facile éprouve nécessairement beaucoup de
difficultés.
LXIII - 5 - Pour le Saint-Homme, tout est également difficile, c'est pourquoi
il achève tout sans difficulté.
LXIV - 1 - Ce qui est en repos est facile à maintenir ce qui n'est pas
esquissé est facile à projeter ce qui est frêle est facile à briser, ce qui
est menu est facile à disperser.
LXIV - 2 - Empêchez le mal avant qu'il ne soit, mettez de l'ordre avant que
n'éclate le désordre.
LXIV - 3 - Un arbre énorme est né d'une racine aussi fine qu'un cheveu; une
tour de neuf étages s'est édifiée sur un tas de terre; un voyage de mille
lieues a commencé par un pas.
LXIV - 4 - Celui qui agit échoue, celui qui prend perd.
LXIV - 5 - C'est pourquoi le Saint-Homme n'agit pas et il n'échoue pas. Il ne
prend pas et il ne perd rien
LXIV - 6 Lorsque le vulgaire entreprend une affaire. il échoue, d'ordinaire,
lorsqu'il est sur le point de réussir. Soyez attentifs à la fin comme vous
l'êtes au commencement.
LXIV - 7 - Voilà pourquoi le Saint-Homme n'a d'autre désir que d'être sans
désirs. Il fait son étude de ne pas étudier. Il remédie aux excès des hommes
en aidant les dix mille êtres à être eux-mêmes,
mais sans se permettre d'agir.
LXV - 1 - Dans l'Antiquité, ceux qui pratiquaient le Tao ne s'en servaient pas
pour ,clairer le peuple, mais pour le rendre simple de coeur. Le peuple est
difficile à gouverner lorsqu'il sait trop.
LXV - 2 - C'est pourquoi gouverner un Etat avec la sagesse humaine cause sa
ruine; le gouverner sans recourir à la sagesse humaine, c'est faire son
bonheur.
LXV - 3 - Celui qui connaît ces deux choses connaît aussi le Modèle des
modèles. La connaissance éternelle du Modèle des modèles s'appelle Vertu
mystérieuse. La Vertu mystérieuse est profonde, illimitée, certes ! Aider
les êtres à y retourner, c'est coopérer a la Grande
harmonie.
LXVI - 1 - Ce qui fait que les fleuves et les mers peuvent être les rois des
Cent vallée, c'est qu'ils se placent bénévolement au-dessous d'elles. Voilà
pourquoi ils peuvent être les rois des Cent vallées.
XVI - 2 - De même, si le Saint-Homme désire être au-dessus du peuple, il faut
qu'en parlant il se place au-dessous de lui ; s'il désire le guider, il faut
qu'il se mette au dernier rang. Ainsi peut-il occuper un poste élevé sans
opprimer les homrries, et être le premier sans que nul n'ait à
en souffrir.
LXVI - 3 - Cela étant, l'Empire est tout à la joie de son activité exubérante
et ne s'en lasse pas. Comme le Saint-Homme n'entre en lutte avec personne,
nul, dans l'Empire, ne peut lutter contre lui.
LXVII - 1 - Tout le monde dit que je suis grand, mais que je ressemhle à un
déshérité. Or, c'est précisément parce que l'on est grand que l'on est
déshérité. Pour ce qui est de la noblesse héréditaire, sa valeur s'est
amenuisée depuis longtemps, certes !
LXVII -2 - Pour moi, il y a trois choses précieuses aux-quelles je suis
attaché et que je tiens en haute estime : la première est la Charité; la
seconde est l'économie; la troisième est l'humilité, qui fait qu'on n'ose se
mettre en avant pour agir dans le Monde.
LXVII - 3 - Grâce à la Charité, on peut être audacieux; grâce à l'économie, on
peut être généreux; grâce à l'humilité,
on peut accomplir de grandes choses.
LXVII - 4 - Aujourd'hui, on manque de Charité et par suite de courage; on
manque d'économie et par suite de générosité ; on refuse la dernière place et
l'on perd ainsi la première. C'est la voie de la mort, certes ! Mais si l'on
a pour arme la Charité, on est sûrement victorieux. Celui qui pratique cela
est invincihle, le Ciel le secourt et il est protégé,
par sa miséricorde
LXVIII - 1 - La perfection pour celui qui commande, c'est d'être pacifique;
pour celui qui combat, c'est d'être sans colère; pour celui qui veut vaincre,
c'est de ne pas lutter; pour celui qui se sert des hommes, c'est de se mettre
au-dessous d'eux.
LXVIII - 2 - Cela s'appelle la vertu du Non-lutter, l'art de se servir des
forces humaines en coopérant avec le Ciel, suprême sagesse
des Anciens.
LXIX - 1 Dans l'art militaire, il y a ce dicton : " J'évite de provoquer,
j'attends le défi; je ne me permets pas d'avancer d'un pouce, mais je recule
d'un pas ".
LXIX -2 - Cela s'appelle avancer sans bouger, repousser sans lever le bras,
faire comme s'il n'y avait pas d'ennemi, prendre sans armes.
LXIX - 3 - Il n'y a de pire malheur que de se faire un ennemi a la légère;
c'est presque perdre notre trésor.
LXIX - 4 C'est pourquoi, lorsque deux adversaires s'affrontent, il s'ajoute
ceci : celui qui est compatissant remporte certainement la victoite.
LXX - 1 - Mes préceptes sont très faciles à comprendre, très faciles à suivre,
mais le monde ne peut les comprendre ni les suivre.
LXX- 2 - Ces enseignements sont fondés sur la Tradition, ces actes sur un
principe; cependant ils ne sont pas compris. C'est pour cela qu'on m'ignore.
Ceux qui me comprennent sont rares, c'est la mesure de ma valeur, certes
!
LXX - 3 -C'est ainsi que le Saint-Homme, sous des vêtements grossiers, garde un
joyau dans son sein.
LXXI - 1 Connaître le Non-savoir est élévation. Ignorer cette Connaissance est
une maladie. Cependant souffrir de cette maladie c'est par là même n'être'plus
malade.
LXXI - 2 - Le Saint-Homme n'a pas cette maladie, car il en souffre. Cela ,tant
il n'est plus malade.
LXXII - 1 - Si le peuple n'a pas une crainte respectueuse pour les grandeurs,
la majesté suprême l'atteindra.
LXXII - 2 - Ne vous trouvez pas à l'étroit dans votre demeure, ne prenez pas
en dégoût ce qui est votre existence. Il suffit de ne pas mépriser sa
condition pour ne pas s'en lasser.
LXXII - 3 - Le Saint-Homme se connaît sans s'observer; il s'aime sans se
priser.
LXXII - 4 - C'est pourquoi il rejette ceci et adopte cela.
LXXIII - 1 - Le courage qui ose cause la mort ; avoir le courage de ne pas
oser donne la vie. Des deux l'un est profitable, l'autre funeste.
LXXIII - 2 - Si le Ciel éprouve quelqu'un, qui en connaît la raison ? C'est
pourquoi le Saint-Homme ne se décide qu'avec difficulté.
LXXIII - 3 - Voici le Tao du Ciel : exceller à vaincre sans lutter, exceller
à convaincre sans parler, faire venir spontanément sans appeler, réaliser
parfaitement dans une apparente inertie.
LXXIII - 4 - Le filet du Ciel est infini ; ses mailles sont larges, mais nul
n'en échappe.
LIIIV - 1 - Si le peuple ne craint plus la mort, quelle efficacité peut avoir
la menace de la peine de mort ?
LXXIV - 2 - Si on parvenait à lui inspirer la crainte constante de la mort,
et que je doive faire arrêter un criminel pour le faire excuter, qui
oserait ?
LXXIV - 3 - Celui qui éternellement a le pouvoir d'enlever la vie fait mourir.
Vouloir se substituer à lui serait agir comme quelqu'un qui veut équarrir du
bois à la place du maître-charpentier; il est bien rare, certes ! qu'il ne se
blesse pas la main.
LXXV - - Le peuple a faim lorsque ses maîtres dévorent le produit de lourds
impôts; voilà la cause de la disette. Le peuple est difficile à gouverner
lorsque ses maîtres sont agissants; voilà d'où vient la difficulté de
gouverner. Le peuple envisage la mort avec légèreté, parce qu'il peine trop
pour vivre; voilà pourquoi il attache peu d'importance à a mort. Car, seul
celui qui n'est pas exclusivement accaparé par la lutte pour l'existence, peut
sagement apprécier la vie.
LXXVI - 1 - Nouveau-né, l'homme est souple et frêle; mort, il est rigide et
dur. A leur naissance, les plantes et les arbres sont tendres et flexibles
morts, ils sont rigides et durs.
LXXVI - 2 - Solidité et rigidité sont les compagnes de 1a mort; souplesse et
faiblesse sont les compagne de la vie.
LVXXVI 2 - C'est pourquoi une armée devenue forte ne vaincra pas, un arbre
devenu grand sera abattu
LXXVI Ce qui est fort et grand est dans une position inférieure; ce qui est
souple et faible est dans une position élevée.
LXXVII - 1 - La Voie du Ciel ne peut-elle être comparée à celui qui fait un
arc ? Il abaisse ce qui est en haut, il élève ce qui est en bas, il enlève ce
qui est en trop, il ajoute ce qui manque.
LXXVII - 2 - La Voie du Ciel réduit ce qui est excessif, complète ce qui est
insuffisant. La voie de l'homme est bien différente : il enlève à celui qui
n'a pas assez, pour le donner celui qui
a trop.
LXXVII - 3 - Qui est capable, ayant du superflu, de le donner au monde ?
Celui-là seul qui a le Tao.
LXXVII - 4 - C'est pourquoi le Saint-Homme agit sans rien attendre en retour;
son oeuvre méritoire mène à bien il ne s'y complaît pas et ne désire pas
faire montre de sagesse.
LXXVIII 1 - Il n'est rien au monde de plus Inconsistant et de plus fîible que
l'eau; cependant, elle corrode ce qui est dur et fort; rien ne peut lui
résister ni la remplacer.
LXXVIII - 2 - La faiblesse a raison de la force; la souplesse,de la dureté.
Tout le monde le sait, mais personne n'y conforme sa conduite.
LXXVIII - 3 - C'est pourquoi le Saint-Homme dit: " Prendre sur soi les
souillures du royaume, c'est être le maître du génie des moissons; prendre
sur soi les malheurs de la nation, c'est être le roi du monde. " Paroles
profondément vraie, sous une apparence paradoxale,
LXXIX - 1 - Même après la réconciliation, un grave désaccord laisse toujours
subsister quelque ressentiment. Que peut-on faire, alors, pour agir selon le
Bien ? Comme le Saint-Homme, qui garde la part la plus désavantageuse dans les
contrats sans rien exiger des hommes.
LXXIX - 2 - Qui possède la Vertu est l'artisan de la concorde; qui n'a pas la
Vertu est l'artisan de la discorde.
LXXIX - 3 - Le Tao du Ciel est sans affections; il coopère toujours avec
l'homme de bien.
LXXX - 1 - Si j'avais un petit royaume. d'une faible population et comptant
une dizaine ou une centaine d'homme habiles, je m'abstiendrais de les
employer. Je veillerais à ce que le peuple comprît la gravité de la mort et
n'émigrât pas au loin. Bien qu'ayant des barques et des chars,il n'en userait
pas; possédant des armes et des cuirasses, il ne s'en servirait
pas.
LXXX - 2 - Je ferais en sorte qu'il revienne à l'usage des cordelettes nouées.
Il trouverait sa nourriture savoureuse, beaux ses vêtements, paisibles
ses demeures, pleines de charme ses coutumes.
LXXX - 3 - Quand bien même les habitants d'un hameau frontalier et ceux du
pays voisin pourraient se voir, entendre les chants de leurs coqs et les
aboiements de leurs chiens, ils atteindraient la vieillesse, puis la mort,
sans qu'ils n'ait eu de visites réciproques.
LXXXI - 1 - Les paroles sincères ne sont pas recherchées, les paroles
recherchées ne sont pas sincères. L'homme de bien ne discute pa, celui qui
discute n'est pas bon. Celui qui sait n'est pas
érudit, celui qui est érudit ne sait pas.
LXXXI - 2 - Le Saint-Homme ne thésaurise rien; tout ce qu'il a, il s'en sert
pour aider les autres. Ayant tout épuisé il reçoit davantage et donne tout.
Quand il a tout donné, il possède encore plus.
LXXXI - 3 - Le Tao du Ciel est aigu, mais ne blesse pas; la voie du
Saint-Homme est d'agir sans lutter.