ARJUNA dit
1.JE voudrais, ô héros puissamment armé, connaître l'essence du renoncement et de l'abandon des œuvres, ô vainqueur du démon (414).
LE SEIGNEUR béni dit:
2.LES sages (415) appellent renoncement la renonciation aux œuvres que l'on désire; l'abandon du fruit de toute action est nommé par eux l'abandon.
3.CERTAINS sages disent : « Une action doit être évitée comme un mal » ; d'autres disent : « Les pratiques du sacrifice, de la charité, et de l'austérité ne doivcnt pas être abandonnées ».
4.ECOUTE ce que Je pense du renoncement, ô le meilleur des Bharatas. Il y a trois sortes de renoncement, ô Tigre des hommes !
5.ON ne doit pas éviter les pratiques du sacrifice, de la charité et de l'austérité. Sacrifice, charité et austérité sont pour les sages des moyens de purification.
6.MAIS ces actions mêmes doivent être accomplies en se libérant de tout attachement et du fruit, ô fils de Pritha. Telle est ma conviction définie.
7.EN vérité, il ne convient pas de renoncer à une action prescrite; une telle renonciation est une erreur et naît des ténèbres.
8.CELUI qui renonce à une action par crainte de la souffrance, et dit : « C'est pénible », celui-là accomplit un renoncement passionné et n'obtient pas le fruit du renoncement.
9.CELUI qui accomplit un acte prcscrit en disant: « Cela doit être accompli, celui-la, ô Arjuna, se libérant de l'attachement et aussi du fruit, accomplit un renoncement pur.
10.L'HOMME désintéressé, pénétré de pureté et libre du doute, n'éprouve ni répulsion pour un acte pénible, ni attrait pour un acte agréable.
11.CELUI qui est incarné ne peut complètement éviter l'action; en vérité, c'est en renonçant au fruit de l'acte, qu'on accomplit le vrai renoncement.
12.LE fruit de l'action est triple : bon, mauvais et mélangé. Il est obtenu dans l'au-delà par ceux qui n'ont pas pratiqué le renoncement, mais pas par ceux qui l'ont pratiqué.
13.APPRENDS de Moi, ô puissamment armé, les cinq causes de l'accomplissement de l'action, telles qu'elles sont émises dans la Sankhya
14.LE sujet, l'agent, les organes divers, les différentes sortes d'énergies et en cinquième lieu, les divinités qui président à l'action (4l7).
15.QUELLE que soit l'action que l'homme accomplit au moyen de son corps, de sa parole et de son mental que ce soit une action juste ou injuste, ces cinq causes sont toujours en jeu.
16.CELA étant, celui qui, par ignorance, croit que son Soi est le seul agent, celui-là est dans l'erreur et ne voit pas(4l8).
17.CELUI qui est affranchi de l'égoisme et dont la raison n'est pas affectée (419), celui-là, tout en tuant ces gens, ne les tue pas et ne se lie pas.
18.LA connaissance, ce qui est à connaître et celui qui cherche à connaître, telle est la triple impulsion à l'action ; l'organe, l'action, l'agent, tels sont les triples éléments de l'action même.
19.LA connaissance, l'action et l'agent sont aussi considérés comme triples, grâce à la différence des qualités qui s'y manifestent, écoutes-en l'analyse détaillée.
20.SACHE que la connaissance (420) qui permet de voir dans les êtres séparés l' Unique Etre indestructible, indivisible, unique, résidant partout, sache que cette connaissance est pure.
21.MAIS le savoir qui voit dans les existences multiples des êtres séparés, sache que cette connaissance est passionnée (421).
22.ET ce qui s'attache à chaque objet détaché, comme s'il était le tout, sans raison et sans compréhension de la réalité, sache que cette connaissance bornée est née des ténèbres.
23.UNE action qui est prescrite, qui est accomplie par quelqu'un qui ne convoite pas le fruit, libre de tout attachement, sans passion et sans répulsion, cette action-là est pure (422).
24.MAIS une action faite par quelqu'un qui est plein de désirs, ou bien accomplie avec égoïsme ou avec beaucoup d'efforts, cette action-là est passionnée (423).
25.UNE action entreprise par ignorance, sans pensée donnée à la capacité et aux conséquences, aux pertes et aux dommages pour les autres, cette action là est des ténèbres.
26.CELUI qui accomplit une action, libre de tout attachement, et d'égoïsme, plein de fermeté et de courage, ne changeant ni dans le succès, ni dans le revers, ce agent-là est pur (424).
27.CELUI qui fait une action avec passion désirant en obtenir le fruit, cupide, prêt à nuire et impur, poussé par la joie ou la douleur, celui-là est un agent passionné.
28.L'AGENT qui est discordant, vulgaire, obstiné, malhonnête, rusé, paresseux, désespéré, stupide, cet agent-la est des ténèbres (425).
29.LA division de la Raison et de la volonté est aussi triple, suivant les qualités. Ecoute leur description séparée et détaillée, ô Danânjaya(426).
30.CETTE Raison qui connait l'énergie et l'abstinence, ce qui doit être fait et ce qui doit être évité, la crainte et le courage, ce qui lie et ce qui délivre, cette Raison-là est pure, ô fils de Prithâ.
31.CETTE Raison par laquelle on comprend vaguement ce qui est juste ou injuste, ce qui doit être accompli et ce qui doit être évité, cette raison-là est passionnée, ô fils de Pritha (427).
32.CETTE Raison, qui enveloppée de ténèbres, prend le mal pour le bien et intervertit toutes choses (428), cette raison-là, ô fils de Pritha, est des ténèbres.
33.LA volonté inébranlable (429) par laquelle au moyen du Yoga, on maîtrise l'activité du mental, des souffles de vie et des organes des sens, cette volonté est pure, ô fils de Pritha .
34.MAIS la volonté qui, ô Arjuna, par l'attachement au fruit se cramponne au devoir, au désir et à la richesse, cette volonté, ô fils de Prithâ, est passionnée
35.LA volonté qui, par stupidité, n'abandonne pas le sommeil, la crainte, la douleur, le désespoir et aussi la vanité, cette volonté-là, ô fils de Pritha, cst des ténèbres (430).
36.ET maintenant, ô taureau des Bharatas, écoute quelles sont les trois espèces de plaisirs. Le plaisir qui devient joie en durant et qui met un terme à la souffrance,
37.QUI d'abord est pareil au venin, mais qui devient à la fin semblable au nectar;
ce plaisir-là est pur, il est né de la connaissance paisible du Soi.
38.LE plaisir qui, naissant de la satisfaction des sens, est d'abord pareil au nec-
39.LE plaisir qui avant et après est un égarement du Soi, car il naît du sommeil, de l'indolence et de la paresse, ce plaisir-là est des ténèbres (43l).
40.IL n'y a rien sur terre ou au ciel parmi les Etres radieux, qui soit libéré de ces trois qualités, nées de la matière.
41.LES devoirs des Brahmanes, des Kshattryas et des Shudras ont été répartis, ô vainqueur de l'ennemi, selon les qualités nées de leur propre nature.
42.LA sérénité, la maitrise de soi, l'austérité, la pureté, le pardon et aussi la droiture, la sagesse, la connaissance, la foi en Dieu, tels sont les devoirs du Brahmane, nés de sa propre nature (432) .
43.LA vaillance, la splendeur, la fermeté,l'adresse et l'illtrépidité au combat, la générosité, la nature du leader, tels sont les devoirs du Kshattrya, nés de sa propre nature (433).
44.LE labourage, le soin des troupeaux et le négoce, sont les devoirs du Vaishya, nés de sa propre nature. Quant au devoir du shudra, né de sa propre nature, c'est le service
45.L'HOMME atteint la perfection en accomplissant avec ferveur son propre devoir (434). Écoute comment celui qui accomplit son Dharma atteint la perfection.
46.EN accomplissant son propre Dharma, l'Homme adore l'Éternel et atteint la perfection (435).
47.LE devoir le plus humble, s'il est notre Dharma, vaut mieux que le devoir bien accompli d'un autre. Celui qui accomplit le Dharma prescrit par sa propre nature, ne commet pas de péché.
48.- Le devoir naturel (436), ô fils de Kuntî, même s'il est imparfait, ne doit pas être abandonné. En vérité, toutes les œuvres sont enveloppées d'imperfection, comme le feu par la fumée.
49.CELUI dont la raison est parfaitement détachée, dont le soi est affranchi de tout désir, celui-là va par le renoncement à la suprême perfection de la libération de toute obligation (437).
50.APPRENDS de Moi, ô fils de Kunti, comment celui qui a atteint la perfection, obtient l'Éternel, cet état de sagesse suprême.
51.S'ÉTANT uni à la Raison, purifié, maîtrisant le soi par la volonté, détaché du son et des autres objets des sens, affranchi de la passion et de la haine,
52.PRATIQUANT la solitude et l'ascétisme, maîtrisant la parole, le corps et le mental, constamment fixé par la méditation dans le Yoga, prenant refuge dans le détachement
53.REJETANT l'égoïsme, la violence, l'arrogance? le désir, la colère, la cupidité, avec l'aide de Ma grâce (44O) tous les obstacles; mais si par égoïsme tu ne veux pas entendre, tu périras.
54.EN devenant Brâhman (439), serein dans le Soi, il ne s'afflige ni ne désire; le même envers tous les êtres, il obtient la dévotion suprême pour Moi
55.PAR la Dévotion il Me connaît dans Mon essence Il sait qui Je suis et ce que je suis. Ayant ainsi appris à Me connaître en vérité, il entre aussitôt dans le Suprême
56.CELUI qui prend refuge en Moi, quoiqu'il accomplisse sans cesse des actions, obtient la demeure éternelle, impérissable.
57.RENONÇANT mentalement à toutes les œuvres concentré sur Moi, t'adonnant au Yoga du discernement, aie ta pensée toujours fixée sur Moi.
58.EN pensant à Moi, tu surmonteras avec l'aide de Ma Grâce (440) tous les obstacles;
59.MURÉ dans l'égoïsme, tu dis : « Je ne veux pas combattre ». Ta résolution est vaine: la nature t'y contraindra.
60.Ô fils de K-untî, étant lié par ton propre dharma, né de ta propre nature, tu seras obligé inévitablement (441) d'accomplir ce que par ignorance tu ne désires pas faire
61.LE Seigneur réside dans le cœur de tous les êtres, ô Arjuna, et par le Pouvoir de la Mâya, il pousse les êtres à se mouvoir, comme s'Il tournait la roue du tourneur.
61.DE tout ton être prends en Lui un refuge, ô Bhârata; par Sa grâce tu obtiendras la paix suprême, la demeure éternelle.
63.JE t'ai révelé la sagesse plus secrète que le mystère lui-même(442). médite longuement et agis selon ce que tu auras entendu.
64.ÉCOUTE encore Ma parole suprême, la plus secrète de toutes; car tu es Mon bien-aimé (443), tu es ferme de cœur, et Je vais parler pour ton bien.
65.PLONGE ton mental en Moi, sois mon serviteur fervent, consacre-toi à Moi, adore-Moi et tu viendras a Moi. Je te donne cette promesse, car tu m'es cher.
66.LAISSE tous les devoirs (444) viens à Moi comme refuge; ne t'afflige pas, Je vais te délivrer de tous les péchés.
67.Tu ne dois jamais répéter cela à quelqu'un qui n'est pas maîtrisé ou qui est sans dévotion, ou bien encore à quelqu'un qui ne désire pas écouter ou qui parle mal de Moi.
68.CELUI qui, plein de dévotion parfaite pour Moi, va révéler ce mystère suprême parmi Mes fidèles, celui-là assurément viendra à Moi.
69.IL n'est personne parmi les hommes qui accomplisse pour Moi un service plus précieux et nul ne peut M'être plus cher sur terre que lui (445).
70.ET celui qui va étudier cet entretien sacré que nous avons eu, celui-là va M'adorer par le sacrifice de la sagesse. Telle est Ma pensée.
71.ET l'homme qui, plein de foi, l`aura seulement écouté avec bienveillance, sera affranchi du mal, et obtiendra les mondes radieux des justes.
72.Ô fils de Prithâ, as-tu écouté cela d'un esprit concentré ? Ton erreur, causée par l'ignorance, a-t-elle été détruite, ô Dhananjaya ?
ARJUNA dit:
73.MON illusion, mon erreur est détruite. J'ai acquis par Ta grâce (446) la connaissance, ô Immuable! Je suis ferme, mes doutes se sont dissipés. J'agirai selon Ta parole.
SANJAYA dit :
74.J'AI entendu ce merveilleux entretien de Vasudéva et de la grande âme, le fils de Pritha, entretien qui a fait mes cheveux se dresser sur la tête.
75.PAR la faveur (447) de Vyâsa j'ai entendu ce mystère et le suprême Yoga du Seigneur du Yoga, Krishna Lui-même, parlant devant mes yeux.
76.Ô Roi, chaque fois que je me rappelle ce merveilleux et saint entretien, entre Keshava et Arjuna, j'éprouve une joie toujours nouvelle.
77.ET chaque fois que je pense à cette merveilleuse forme de Hari, grande est ma stupeur, ô Roi, et je me réjouis de nouveau.
78.PARTOUT où est Krishna, le Seigneur du Yoga, partout où est l'archer, le fils de Pritha, là aussi sont assurés la prospérité, la victoire et le bonheur: Telle est ma pensée.
Telle est, dans les glorieuses Upanishads de la Bhagavad-Gîtâ, la science de l'Éternel, l'écrit du Yoga, le dialogue entre Shri Krishna et Arjuna, le dix-huitième entretien intitulé :