LES æUVRES MESLEES DE PLUTARQUE, TRANSLATEES DE GREC EN FRANCOIS,

REVUES ET CORRIGEES en plusieurs passages par le Translateur, AVEC

PREFACE GENERALE, Sommaires au commencement de chacun livre,

annotations en marge, de nouveau reveües & augmentées de moitié.

ENSEMBLE UN INDICE DES CHOSES memorables mentionnées esdites

¦uvres. TOME SECOND. A LYON, Pour PAUL FRELLON. MDCVII.
 
 

DES OPINIONS DES PHILOSOPHES
 
 


RETOUR à COSMOS   RETOUR à VIOLA TRICOLOR

[255] LIVRE PREMIER

Qu'est-ce que Nature. Quelle différence il y a entre Principe & Eléments. Des Principes; Que c'est. Comment a été composé le Monde Si tout est un. D'où & comment est-ce que les hommes ont eu imagination de Dieu Qu'est-ce que Dieu Des démons & demi-dieux De la Matière. De l'Idée Des Causes. Des Corps. Des moindres Corpuscules. Des Figures. Des Couleurs. De la coupe des corps De la mixtion & température.Du Vide. Du Lieu De la Place. Du Temps Du mouvement. De la Génération & Corruption. De la Nécessité De l'essence de Nécessité.De la Destinée. De la substance de Destinée De la Fortune. De la Nature.


Division & distribution de la Philosophie. La Naturelle, la

Morale. La Verbale. Autre division, en Philosophie active &

contemplative.
 
 

Ayant proposé d'écrire la Philosophie naturelle, il me semble

nécessaire en premier lieu, & devant toute autre chose, mettre la

division & distribution de Philosophie, afin que nous sachions ce

que c'est que la Naturelle, & quelle part & portion elle est de

toute la Philosophie. Or donc les Philosophes Stoïques disent,

que sapience est la science de toutes choses tant divines

qu'humaines, & que Philosophie est profession & exercice de l'art

à ce convenable, qui est une seule suprême & souveraine vertu,

laquelle se divise en trois générales, la Naturelle, la Morale, &

la Verbale: à raison de quoi la Philosophie vient à être aussi

divisée en trois parties, l'une Naturelle, l'autre Morale, & la

tierce Verbale. La Naturelle est, quand nous enquérons &

disputons du monde, & des choses contenues en icelui, la Morale,

celle qui occupée à traiter de la bonté ou mauvaistié de la vie

humaine: la Verbale, celle qui traite de ce qui appartient à

discourir par raison, laquelle se nomme autrement Dialectique,

comme qui dirait disputatrice. Mais Aristote & Théophraste, &

presque tous les Péripatétiques entièrement, partissent la

Philosophie en cette sorte. Est nécessaire que l'homme pour être

parfait soit & contemplateur de ce qui est, & facteur de ce qu'il

doit, ce qu'on pourra plus clairement entendre sur ces exemples:

On demande, Si le Soleil est un animal, c'est-à-dire créature

animée ou non, ainsi qu'on le voit. Celui qui va recherchant la

vérité de cette proposition & question est contemplatif: car il ne

requiert & cherche que ce qui est. Semblablement Si le monde est

infini, & s'il y a aucune chose hors le contenu de ce monde:

toutes telles questions sont contemplatives. Mais d'un autre côté

on peut demander, Comment il faut vivre, & gouverner ses enfants,

comment il faut exercer un Magistrat, comment il faut établir des

lois: car toutes ces questions-là demande à l'intention de faire,

& telle vie se demande active & pratiquer.
 
 

[256] CHAPITRE I.Qu'est-ce que Nature.

 

 

Nature est le principe de mouvement & de repos, de ce en quoi elle

est premièrement & non par accident
 
 

Puis donc que nous avons proposé d'écrire & de traiter de la

Philosophie Naturelle, je pense qu'il soit nécessaire de déclare

premièrement ce que c'est que Nature: car il n'y aurait point de

propos de vouloir entrer en discours de choses naturelles, &

d'ignorer d'entrée ce que signifie nature. C'est donc selon

l'avis & l'opinion d'Aristote, le principe de mouvement & de

repos, de ce en quoi elle est premièrement & non par accident: car

toutes les choses qu'on voit qui ne se font ni par fortune, ni par

nécessité, & ne sont point divines, ni n'ont aucune de ces causes

efficientes, s'appellent naturelles, & ont une nature propre &

péculière, comme la terre, le feu, l'eau, l'air, les plantes, les

animaux. Et davantage, ces autres choses que nous voyons

s'engendrer ordinairement, comme pluie, grêle, foudre, vents &

autres semblables, ont quelque principe & commencement: car elles

n'ont pas leur être de toute éternité, ains ont quelque

commencement: & semblablement les animaux & les plantes ont aussi

principe de leur mouvement & ce principe premier là, c'est la

Nature, & non seulement principe de mouvement, mais aussi de

repos: car tout ce qui a eu principe de mouvement, aussi peut-il

avoir fin, & pour cette raison Nature est le principe de repos &

de mouvement.
 
 

CHAPITRE II. Quelledifférence il y a entre Principe & Eléments.

 

 

Les principes sont simples & les Eléments composés.
 
 

Aristote donc & Platon estiment qu'il y ait différence entre

Principe et Elément, mais Thalès Milésien pense que ce sont une

même chose Principe & Eléments, toutefois il y a bien une grande

différence, pour ce que les Eléments sont composés, mais que les

Principes ne sont point composés, ni aucune substance complette:

comme nous appelons Eléments, la terre, l'eau, l'air & le feu:

mais les Principes nous les appelons ainsi, pour autant qu'ils

n'ont rien précédant, dont ils soient engendrés: car autrement

s'ils n'étaient les premiers, ils ne seraient pas principes, ains

ce dont ils sont engendrés. Or il y a quelque chose précédantes,

dont sont composées la terre & l'eau, c'est à savoir, la matière

première sans forme quelconque ni espèce, & la forme que nous

appelons autrement Entéléchie, & puis privation, Thalès donc [257]

a failli en disant, que l'Eau était l'Elément & le Principe de

l'univers.
 
 

CHAPITRE III. DesPrincipes; Que c'est.

 

 

I. Thalès a estimé que l'eau fût le principe de toutes choses.

Ses raisons.
 
 

Thalès le Milésien a affirmé que l'eau était Principe de

l'univers, il a ce semble été le premier auteur de la Philosophie,

& de lui a été nommée la secte ionique des Philosophes: car il y a

eu plusieurs familles & successions de Philosophes, & ayant étudié

en Egypte, il s'en retourna tout vieil en la ville de Milet où il

maintint que toutes choses étaient composées d'eau & qu'elles se

résolvaient aussi toutes en eau. Ce qu'il conjecturait par une

telle raison, c'est que premièrement la semence est le principe de

tous animaux, laquelle semence est humide, ainsi il est

vraisemblable que toutes autres choses aussi ont leur principe

d'humidité. Secondement que toutes sortes de plantes sont

nourries d'humeur, & fructifient par humeur, & quand elles en ont

faute elles se dessèchent. Tiercement que le feu du Soleil même &

des astres se nourrit & entretient des vapeurs procédantes des

eaux, & par conséquent aussi pour tout le monde. C'est pourquoi

Homère, supposant que toutes choses sont engendrées d'eau dit
 
 

L'Océan est père de toutes choses [Iliad. li.14].
 
 

II. Anaximandre a attribué ce principe à l'infini. Réfuté
 
 

Mais Anaximandre Milésien aussi tient, que l'infini est le

principe de toutes choses, pour ce que toutes choses sont

procédées de lui & toutes se résolvent en lui, & pourtant qu'il

s'engendre infinis mondes, lesquels puis après s'évanouissent en

ce dont ils sont engendrés: Pourquoi donc, dit-il, y a-t-il

l'infini? afin que la génération ne défaille jamais. Mais il

faut aussi ne déclarant pas ce que c'est que l'infini, si c'est

air, ou eau, ou terre ou quelque autre corps, & faut en ce, qu'il

met bien un sujet & une matière, mais il ne met pas une cause

efficiente: car cet infini n'est autre chose que la matière, mais

la matière ne peut venir en parfait être, s'il n'y a une cause

mouvante & efficiente.
 
 

III. Anaximène estime que ce soit l'air. Est réfuté.
 
 

ANAXIMENE Milésien aussi maintient, que l'air était le Principe de

l'univers pour ce que toutes choses étaient engendrées de lui, &

derechef se résolvaient en lui: comme notre âme dit-il qui est

air, nous tient en vie, aussi l'esprit & l'air contient en être

tout ce monde: car esprit & air sont deux noms qui signifient une

même chose, mais celui-ci faut [258] aussi, pensant que les

animaux soient composés d'un simple & uniforme esprit & air: car

il est impossible qu'il n'y ait que un seul Principe de toutes

choses, qui est la matière, ains faut & quand supposer la cause

efficiente: ni plus ni moins que ce n'est pas assez d'avoir

l'argent pour faire un vase, s'il n'y a ensemble la cause

efficiente qui est l'orfèvre: autant en faut-il dire du cuivre, du

bois, & de toute autre matière.
 
 

IV. Anaxagore tient que ce sont parcelles semblables qu'il

appelait Hom¦oméries. Ses raisons.
 
 

Anaxagore le Clazoménien assura, que les Principes de toutes

choses étaient les menues parcelles semblables, qu'il appelait

Hom¦oméries: car il lui semblait totalement impossible que quelque

chose se pût résoudre en ce qui n'est pas. Or est-il que nous

prenons nourriture simple & uniforme, comme nous mangeons du pain

et du froment, & buvons de l'eau & néanmoins de cette nourriture

se nourrissent les cheveux, les veines, les artères, les nerfs &

les os, & les autres parties du corps. Puis qu'il est donc ainsi,

il faut aussi confesser qu'en cette nourriture que nous prenons,

sont toutes ces choses qui ont être, & que toutes choses

s'augmentent de ce qui a être, & en cette nourriture sont des

parties qui engendrent du sang, des nerfs des os, & des autres

parties de notre corps, qui se peuvent comprendre par le discours

de la raison, parce qu'il ne faut tout réduire aux sentiments de

la nature, pour montrer que le pain & l'eau fassent cela, ains

suffit qu'il y a des parties lesquelles se peuvent connaître par

la raison. Pour autant donc qu'en la nourriture y a des parties

semblables à ce qu'elles engendrent, à cette cause les appelait-il

Hom¦oméries, comme qui dirait parcelles semblables, & affirma que

c'étaient les Principes de toutes choses ainsi voulait-il que ces

parcelles semblables fussent la matière des choses, & que

l'entendement fût la cause efficiente qui a ordonné tout: si

commence son propos en cette sorte: Toutes choses étaient ensemble

pêle-mêle, mais l'entendement les sépara & mit par ordre. Pour le

moins en cela fait-il à louer, qu'à la matière il a adjoint

l'ouvrier.
 
 

V. Opinion d'Archelaüs touchant le principe de toutes choses.
 
 

ARCHELAÜS, fils d'Apollodorus Athénien dit, que le Principe de

l'univers c'était l'air infini, & la raréfaction & condensation

d'icelui, dont l'un est le feu, & l'autre l'eau. Ceux-ci donc

étant par succession continuelle depuis Thalès venus les uns après

les autres, ont fait la secte qui s'appelle Ionique.
 
 

VI. Pythagore & ses disciples tiennent que les nombres sont les

Principes de toutes choses. Quel était le plus grand serment des

Pythagoriques & pourquoi. Que représente le deux. Que représente

le trois.
 
 

D'AUTRE part Pythagore, fils de Mnésarchus natif de l'île de

Samos, le premier qui a donné le nom à la Philosophie, a tenu que

les principes des choses étaient les nombres, & les symmétries,

c'est-à-dire, convenances & propor [259] tions qu'ils ont

entr'eux, lesquelles il appelle autrement Harmonies: & puis les

composés de ces deux Eléments qu'on dit Géométriques. Derechef il

met encore entre les Principes, l'Un & le Deux indéfini, & tend

l'un de ces principes à la cause efficiente & spécifique, qui est

l'entendement, c'est à savoir Dieu: l'autre à la cause passive &

matérielle, qui est ce monde visible. Davantage il estimait que

Dix était toute la nature du nombre, pour ce que les Grecs et les

Barbares tous comptent jusqu'à dix, puis quand ils y sont arrivés

jusqu'à la dizaine, il retournent derechef à l'unité. Et outre

disait encore que toute la puissance de dix consiste en quatre,

c'est-à-dire au nombre quaternaire: & la cause pourquoi, c'est que

si on recommence à l'un, & que selon l'ordre des nombres on les

ajoute jusqu'au quatre, on fera le nombre de dix, & si on surpasse

le quaternaire, aussi surpassera-t-on la dizaine: comme si on met

un & deux ensemble, ce sont trois, & trois avec sont six, & quatre

après ce sont dix, de sorte que tout le nombre, à le prendre d'un

à un, git en dix, & la force & puissance en quatre. Et pourtant

les Pythagoriques soulaient(3) jurer, comme par le plus grand

serment qu'ils eussent su faire, par le quaternaire,
 
 

Par le Saint Quatre, éternelle nature
 
 

Donnant à l'âme humaine, je te jure;
 
 

& notre âme, dit-il est composée de nombre quaternaire: car il y a

l'entendement, science, opinion & sentiment, dont procède toute

science & tout art, & dont nous-mêmes sommes appelés raisonnables.

Car l'entendement est l'unité, pour ce qu'il ne connait & n'entend

que par un, comme y ayant plusieurs hommes, les particuliers un à

un sont incompréhensibles par sentiment, attendus qu'ils sont

infinis, mais nous comprenons en pensée, cela seul Homme, & en

entendons un seulement, auquel nul n'est semblable: car les

particuliers qui les considèreraient à part sont infinis, ainsi

toutes espèces & tous genres sont en unité & pourtant quand on

demande de chaque particulier que c'est, nous en rendons une telle

définition générale, c'est un animal raisonnable, apte à discourir

par raison: ou bien animal apte à hennir. Voilà pourquoi

l'entendement est unité, par laquelle nous entendons cela. Mais

le deux & nombre binaire, indéfini, est à bon droit science: car

toute démonstration et toute probation est une sorte de science: &

davantage toute manière de syllogisme & ratiocination, collige &

infère une conclusion qui était douteuse, de quelques propositions

confessées, par où elle démontre facilement une autre chose, dont

[260] la compréhension est science: par ainsi apert-il que science

vraisemblablement est nombre binaire. Mais opinion bonne raison

peut se dire le nombre ternaire de la compréhension, pour ce que

l'opinion est de plusieurs. Or la ternaire est nombre de

multitude, comme quand le Poëte dit, O Grecs heureux trois fois.

C'est pourquoi Pythagore ne faisait point estime du trois, la

secte duquel a été appelée Italique, pour autant que Pythagore, ne

pouvant supporter la tyrannique domination de Polycratès, se

partit de Samos, qui était son pays, & s'en alla tenir son école

en Italie.
 
 

VII. Héraclite & Hippasus ont tenu que le feu était le principe

de toutes choses.
 
 

HERACLITE & Hippasus de la ville de Meraponte ont tenu, que le feu

était le principe de toutes choses, pour ce que toutes choses se

font de feu, & se terminent par feu, & quand il s'éteind, tout

l'univers monde en est engendré: car la plus grosse partie

d'icelui se serrant & épaississant en soi-même se fait terre,

laquelle venant à être lâchée par le feu, se convertit en eau, &

elle s'évaporant se tourne en air: & derechef le monde, & tous les

corps qui sont compris en icelui, seront un jour tous consumés par

le feu par quoi il concluait que le feu était le principe de

toutes choses, comme celui dont tout est: & la fin aussi, pour ce

que toutes choses se doivent résoudre en lui.
 
 

VIII. Epicure dit que ce sont les Atomes ou corps indivisibles, &

éternels & infinis, ayant pris cette opinion de Démocrite.
 
 

Epicure, fils de Noclés Athénien, suivant l'opinion de Démocrite

dit, que les Principes de toutes choses sont les Atomes,

c'est-à-dire, corps indivisibles, perceptibles par la raison

seulement, solides sans rien de vide, non engendrés, immortels,

éternels, incorruptibles, qu'on ne saurait rompre ni leur donner

autre forme, ni autrement les altérer, & qu'ils ne sont

perceptibles ni compréhensibles que par la raison, mais qu'ils se

meuvent en un infini & par un infini qui est le vide, & que ces

corps sont en nombre infini, & ont ces trois qualités, figure,

grandeur & poids. Démocrite en mettait deux grandeurs & figure:

mais Epicure y ajoute pour le troisième le poids. Car il est,

disait-il, force que ces corps-là se meuvent par la percussion du

poids, car autrement ne se mouvraient-ils pas: & que les figures

de tels corps étaient compréhensibles, & non pas infinis, pour ce

qu'ils ne sont ni forme de hameçon, ni de fourche, ni de annelet,

d'autant que telles figures sont forts fragiles: & que les Atomes

sont tels qu'ils ne peuvent être rompus ni altérés, & ont

certaines figures qui sont perceptibles non autrement que par la

raison, & s'appellent Atomes, c'est-à-dire indivisibles, non pour

ce qu'ils soient les plus petits, mais pour ce qu'on ne les peut

mespartir, d'autant qu'ils sont impassibles, [261] & qu'ils n'ont

rien qui soit de vide, tellement que qui dit Atome, il dit

infragible, impassible, n'ayant rien de vide. Et qu'il y ait des

Atomes, il est tout apparent, parce qu'il y a des Elements

éternels des corps vides, & l'unité.
 
 

IX. Empédocle dit que l'accord, & le discord sont les Principes

de toutes choses.
 
 

EMPEDOCLE, fils de Meton, natif d'Agrigente, dit, qu'il y a quatre

Eléments, le feu, l'air, l'eau & la terre & deux Principes ou

facultés & puissances principales, accord & discord, dont l'un a

force & puissance d'assembler & unir, & l'autre de désassembler &

désunir: & dit ainsi:
 
 

Premièrement oy les quatre racines
 
 

Dont ce qui est prend tous ses origines:
 
 

Jupin ardent, & Junon soupirant,
 
 

Pluton le riche, & Nestis qui pleurant
 
 

Avec ses pleurs humecte la fontaine,
 
 

Dont sourd coulant toute semence humaine.
 
 

Jupiter est le feu, Junon l'air, Pluton la terre & Nestis l'eau.
 
 

X. Socrate & Platon en posent trois, à savoir Dieu, la Matière, &

l'Idée.
 
 

Socrate, fils de Sophronisque Athénien, & Platon, fils d'Ariston

Athénien aussi (car les opinions de l'un & de l'autre, de quelque

chose que ce soit, sont toutes unes) mettent trois principes,

Dieu, la Matière & l'Idée. Dieu est l'entendement universel: la

Matière, le premier sujet supposé la génération & corruption:

l'Idée une substance incorporelle, étant en la pensée &

entendement de Dieu: & Dieu, l'entendement du monde.
 
 

X. Aristote met la forme, la matière & la privation.
 
 

Aristote, fils de Nicomaque, natif de Stagire, met pour Principes,

la forme la matière, & la privation: pour Eléments, quatre, & pour

le cinquième, le corps céleste étant immuable.
 
 

XI. Zénon met Dieu & la matière.
 
 

Zénon, fils de Mnéséas, natif de Citie, pour Principes met Dieu &

la matière, dont l'un est cause active, & l'autre passive, &

quatre Eléments.
 
 

CHAPITRE IV.Comment a été composé le Monde.

 

 

Le monde composé de figure ronde, & ses principales parties

engendrées par rencontres des Atomes, opinion tirée de la

philosophie d'Epicure.
 
 

Le monde donc est venu a être composé & formé de figure ronde en

cette manière: les Atomes indivisibles ayant un mouvement fortuit

& non consulté ni proposé, & se mouvant très légèrement, &

continuellement, plusieurs corps sont venus à se rencontrer

ensemble, différents pour cette cause & de figure & de grandeur, &

s'assemblant en un: ceux qui étaient les plus gros & plus pesants

dévalaient en bas, & ceux qui étaient petits, ronds, polis &

labiles, [262] ceux-là à la rencontre des corps furent en pressant

repoussés & retirés contre mont; mais quand la force poussant vint

à défaillir, & que l'effort du poussement cessa de les envoyer

contre mont, ne pouvant retomber contre-bas, pour ce qu'ils en

étaient empêchés, par nécessité ils étaient contraints de se

retirer aux lieux qui les pouvaient recevoir, c'est à savoir ceux

qui étaient à l'entour, auxquels grande multitude de corps étaient

rebatus à l'environ, & venant en cette répercussions à

s'entrelacer les uns dedans les autres ils engendrèrent le ciel, &

puis d'autres encore de même nature de diverses formes, comme dit

est, étant aussi poussés contre-mont, parfirent la nature des

astres: & la multitude des corps rendant exhalaison & vapeur fit

l'air, & l'espreignit(4), lequel par le mouvement étant converti en

vent, comprenant avec soi les étoiles, les trouva contre & lui, &

a contregardé jusques aujourd'hui la révolution en rond, qu'ils

ont encore au haut du monde. Ainsi des corps qui dévalèrent au

fond, s'engendra la terre, & de ceux qui montèrent contre-mont, le

ciel, le feu, & l'air, mais à l'entour de la terre, y ayant encore

beaucoup de matière comprise & épaissie par les battements des

vents & les haleines des astres, tout ce qui y était de plus délié

& menue figure fut espreint(5), & engendra l'élément de l'eau,

laquelle étant de nature fluide; s'encoula aval vers les lieux

creux & bas qui la pouvaient comprendre & contenir: ou bien l'eau

d'elle-même s'arrêtant creusa & cava les endroits qui étaient

dessous elle. Voilà comment les principales parties du monde ont

été engendrées.
 
 

CHAPITRE V.Si tout est un.

 

 

I. Opinion des Stoïques.
 
 

Les Philosophes Stoïques ont tenu qu'il n'y avait qu'un monde,

lequel ils appelaient Tout, & la substance corporelle.
 
 

II. Empédocle.
 
 

Empédocle disait bien qu'il n'y avait qu'un monde, mais ce n'était

pas même chose que le monde & tout, & que le monde n'était qu'une

petite partie du tout, & que le reste était une matière oiseuse(6).
 
 

III. De Platon.
 
 

Platon prouve la conjecture de son opinion, qu'il n'y ait qu'un

monde, & que tout soit un, par trois arguments vraisemblables.

Premièrement, parce qu'autrement le monde ne serait pas parfait,

s'il ne comprenait tout en soi. Secondement, qu'il ne serait pas

semblable à son patron, s'il n'était unique. Tiercement, qu'il ne

serait pas incorruptible, s'il y avait quelque chose hors de lui.
 
 

V. De Plutarque, lequel combat l'opinion de Platon.
 
 

MAIS il faut dire à l'encontre de Platon, que le monde est

parfait, & si ne comprend pas toutes [263] choses: car l'homme est

bien parfait, & si ne comprend pas toutes choses. Et puis qu'il y

a plusieurs exemplaires tirés d'un patron, comme és statues &

maisons & és peintures. Et comme il est parfait, si hors de lui

quelque chose peut tourner? Incorruptible n'est-il pas ni ne peut

être, attendu qu'il a été né.
 
 

VI. De Métrodore qui tient qu'il y a une infinité de mondes.
 
 

METRODORE dit, que ce serait chose bien hors de propos que de

dire, qu'en un grand champ il ne crût qu'un épis de blé, &

qu'autant étrange serait-il qu'en l'infini il n'y eût qu'un monde.

Or qu'il y en ait eu multitude infinis, il apert de ce qu'il y a

des causes infinies: car si le monde est infini, & que les causes

dont il est composé soient infinies, il est force qu'ils soient il est force qu'ils soient

aussi infinis: car là où sont toutes les causes, là est-il force

que soient aussi les effets. Or sont les causes du monde les

Atomes, ou bien les Eléments.
 
 

CHAPITRE VI.D'où & comment est-ce que les hommes ont eu

imagination de Dieu.

 

 

I. Opinion des Stoïques touchant l'essence de Dieu.
 
 

Les Philosophes Stoïques définissent ainsi l'essence de Dieu, que

c'est un Esprit plein d'intelligence, de nature de feu, qui n'a

forme aucune de soi, mais se transforme en tout ce qu'il veut, &

se fait semblable à tout.
 
 

II. Qui a donné aux homme occasion de penser qu'il y eût un Dieu.

De la beauté & de la perfection du ciel. De la beauté & de la

perfection du ciel. Beau témoignage d'Euripide à ce propos.
 
 

Si en ont les hommes eu appréhension & apercevance; premièrement,

la prenant de la beauté des choses qui apparaissent à nos yeux:

car il n'y a rien de beau qui ait été fait à l'aventure ni

fortuitement, ains faut qu'il ait été composé par quelque

ingénieuse artificielle nature. Or est le ciel beau, comme il

apparait à sa forme, à sa couleur & à sa grandeur & à la variété

des astres & étoiles qui se sont disposées en icelui. Et puis il

est rond comme une boule, qui est la première & plus parfaite de

toutes les figures: car elle est seule de toutes qui ressemblent à

ses propres parties, & étant rond il a les parties rondes aussi.

Voilà pourquoi Platon dit que l'entendement, & la raison, qui est

la plus divine partie de l'homme a été logée dedans la tête qui

approche la forme ronde: la couleur aussi en est belle, car elle

est teinte en bleu, lequel est plus obscur que n'est pas la

couleur de pourpre, mais il a une qualité brillante &

resplendissante telle, que par la véhémence de sa lueur, il fend

un si grand intervalle de l'air, & se fait voir d'une si éloignée

distance. Aussi est-il beau pour sa grandeur: car de toutes

choses qui sont d'un même genre, le dehors qui environne &

contient le [264] demeurant est toujours le plus beau, comme en

l'homme & en l'arbre. Et puis ce qui consomme la beauté du monde

sont les images célestes des signes & des étoiles qui nous

apparaissent: car le cercle oblique du Zodiaque est embelli de

diverses figures;
 
 

Le Cancre y est, & le Lion après,
 
 

La vierge suit, & les Forces de près,
 
 

Le Scorpion & l'Archer fuyant viennent,
 
 

Le Capricorne & le Verseau se tiennent,
 
 

Les deux Poissons, le Mouton, le Taureau,
 
 

Les deux Jumeaux font le bout du cerveau.
 
 

& autres innumérables configurations d'étoiles que Dieu a faites

en semblables voutes & rotondités du monde: voilà pourquoi

Euripide l'appelle
 
 

Splendeur du ciel estellé qui tout couvre.
 
 

Du sage ouvrier admirable chef-d'¦uvre.
 
 

Nous avons donc pris de là imagination de Dieu, que le Soleil, la

Lune, & les autres astres, après avoir fait le cours de leurs

révolutions sous la terre, viennent à renaître tous semblables en

couleur, égaux en grandeur, & en mêmes lieux & en mêmes temps.
 
 

III. Trois diverses manières de servir & adorer les dieux,

enseignées entre les Païens, lesquelles sont puis après divisées

en sept espèces. D'où est dérivé le mot de Dieu. Toutes ces

subdivisions montrent l'aveuglement des pauvres Païens touchant la

vraie connaissance du vrai Dieu.
 
 

Et pourtant ceux qui nous ont baillé la manière de servir & adorer

les dieux, nous l'ont exposée par trois diverses voies, l'une

naturelle, la seconde fabuleuse, & la troisième civile,

c'est-à-dire témoignée par les statuts & ordonnances ce chaque

cité: & est enseignée la naturelle par les Philosophes, la

fabuleuse par les Poêtes, la civile & légitime par les us &

coutumes de chaque cité. Mais toute cette doctrine & manière

d'enseigner est divisée en sept espèces; la première est par les

apparences de corps célestes que nous apercevons au ciel: car les

hommes ont eu appréhension de Dieu par les astres qui nous

apparaissent, voyant comme ils sont cause d'un grand accord &

grande convenance, & qu'il y a toujours un certain ordre &

constance du jour & de la nuit, de l'hiver & de l'été, du lever &

du coucher du Soleil, & puis entre les animaux & les fruits que la

terre produit: pourtant ont-ils estimé que le ciel en était le

père, & la terre la mère, d'autant que le ciel verse les ravages

des eaux qui tiennent lieu de semences, & la terre les reçoit &

enfante: & considérant que ces astres faisaient toujours leurs

cours, & mêmement qu'ils étaient cause de ce que nous voyons, pour

cela ils ont appelé le Soleil & la Lune Theous, c'est-à- dire,

dieux, de ce mot Thein, qui signifie courir ou de Theorin, qui

signifie contempler. Ils ont puis après divisé les dieux en un

second & un tiers degré, c'est à [265] savoir en ceux qui

profitent & en ceux qui nuisent, appelant ceux qui profitent

Jupiter, Junon, Mercure, Cérès; & ceux qui nuisent, les malins

Esprits, les Furies, Mars, lesquels ils abominent & détestent,

comme mauvais & violent. En outre, ils ajoutent le quatrième &

cinquième lieu & degré aux affaires; & aux passions & affections,

comme Amour, Venus, Désir; & des affaires, comme Espérance,

Justice, bonne Police. Au sixième lieu sont ceux que les Poêtes

ont faits, comme Hésiode, voulant donner père aux dieux engendrés,

a de lui-même inventé & introduit de tels progéniteurs, Ceus,

Creus, Hyperion, Japetus, & pourtant ce genre-là est appelé

fabuleux. Le septième lieu est de ceux qui ont été honorés

d'honneurs divins, pour les grands biens par eux faits, à la

commune vie, encore qu'ils aient été engendrés & nés humainement,

comme Hercule, Castor & Polux, Bacchus. Et on dit que ces dieux

avaient forme d'hommes, d'autant que la plus noble & plus

excellente nature de toutes est celle des dieux, & entre les

animaux le plus beau est l'homme, orné de diverses vertus, & le

meilleur quant à la constitution & composition de l'entendement.

Voilà pourquoi on a estimé qu'il était raisonnable que ce qui

était le plus noble ressemblât à ce qui était le plus beau &

meilleur.
 
 

CHAPITRE VII.Qu'est-ce que Dieu.

 

 

I. Diagoras & autres tiennent qu'il n'était point de dieux.
 
 

Aucun des Philosophes, comme Diogoras Mélien, & Théodore Cyrénien,

& Evemerus natif de Tégée, ont tenu résolument qu'il n'était point

de dieux. Et quant à Evemerus Cyrénien, Callimacus le donne

couvertement à entendre en ses carmes Iambiques, là où il dit,
 
 

Allez vous en tous en troupe à l'Eglise,
 
 

Qui hors les murs de la ville est assise,
 
 

Où le vieillard glorieux longtemps a
 
 

Le Jupiter de bronze composa:
 
 

C'est où le traître écrit ses méchants livres.
 
 

ces méchants livres-là étaient ceux où il discourait qu'il n'y

avait point de dieux.
 
 

II. Euripide tient que pour contenir les hommes sous l'obéissance

des lois, on a mis en avant qu'il y avait un Dieu voyant toutes

choses. Blasphèmes contre la toute-puissance du vrai Dieu.
 
 

Et Euripide ne s'osa pas découvrir, d'autant qu'il redoutait le

Sénat de l'Aréopagite; mais néanmoins il montra quelle était son

opinion, par telle manière, il introduisit Sisyphus, auteur de

cette opinion, & puis il favorise lui- même à sa sentence.
 
 

Il fut un temps que la vie de l'homme
 
 

Désordonnée en ses faits ainsi comme
 
 

Des animaux plus farouches était, [266]
 
 

Et qu'en tout lieu le plus fort l'emportait.
 
 

Puis il dit que cette dissolution fut ôtée par l'introduction des

lois, mais pour ce que la loi pouvait bien réprimer les maléfices

qui se commettent évidemment, & qu'il y en avait plusieurs qui

péchaient néanmoins encore secrètement, alors il y eu quelque sage

homme, qui pensa en lui-même qu'il fallait toujours voiler la

vérité de quelque mensonge, & persuader aux hommes
 
 

Qu'il est un Dieu vivant vie immortelle,
 
 

Qui voit & oit, & ressent chose telle.
 
 

Mais ôtant, dit-il, toute fiction & toute rêverie poêtique, avec

la raison de Callimaque qui dit,
 
 

S'il est un vrai Dieu, il est donc impossible,
 
 

Qu'il ne lui soit de tout faire possible.
 
 

Or est-il que Dieu ne peut pas tout faire: car s'il est Dieu qu'il

fasse que la neige soit noire, & le feu froid, & que ce qui est

couché soit debout, & au contraire. Car Platon même le magnifique

parleur, quand il dit que Dieu créa le monde à son moule & patron,

sent fort sa rance & moisie simplesse d'antiquité, comme disent

les Poêtes de l'ancienne comédie: car comment se regardait-il

soi-même pour former ce monde à sa figure? & comment a-t-il fait

Dieu rond comme une boule, & plus bas que l'homme?
 
 

III. Opinion contraire d'Anaxagore & de Platon, touchant la

création & disposition des choses, & par qui elles ont été faites

& rangées. Plutarque dispute au contraire, & veut (sans raison

toutefois) renverser la providence divine, mêlant les disputes,

grief montrant l'aveuglement de la sagesse humaine destituée de la

parole de Dieu. Subtilités ridicules de l'homme ignorant & vain

qui veut disputer de la science & vérité, laquelle surmonte son

entendement.
 
 

ANAXAGORE dit que les premiers corps du commencement étaient en

repos & ne bougeaient, mais que l'entendement de Dieu les ordonna

& arrangea, & fit les générations de toutes choses. Platon au

contraire dit, que ces premiers corps là n'étaient point en repos,

& qu'ils se mouvaient confusément & sans ordre, mais que Dieu

entendant bien que l'ordre vaut beaucoup mieux que la confusion,

mit toutes choses par ordre. L'un & l'autre donc en cela ont fait

une même faute commune, qu'ils ont estimé, que Dieu eût soin des

choses humaines, & qu'il eût fabriqué ce monde expressément pour

en avoir le soin. Car un animal bienheureux & immortel, accomplis

de toutes sortes de biens, sans aucune participation de mal,

totalement dédié à retenir & conserver sa béatitude & son

immortalité, ne peut avoir soin des affaires des hommes, autrement

il serait aussi malheureux comme un man¦uvre, ou comme un maçon

travaillant à porter de gros fardeaux, & ressuant à la fabrique &

gouvernement de ce monde. Davantage, ce Dieu dont ils parlent, il

est force ou qu'il ne fût point avant la création du monde lors

que les premiers corps étaient immobiles, ou que ils se mouvaient

confusément; ou bien s'il était, ou il dor mait[267], ou il ne

faisait ni l'une ni l'autre. Or est-il, que ni l'un ni l'autre

n'est à confesser: car le premier ne faut-il pas admettre, pour ce

que Dieu est éternel: ni le second aussi, pour ce que s'il dormait

de toute éternité, il était mort: car un dormir éternel c'est la

mort; & qui plus est, Dieu ne peut être susceptible de sommeil:

car l'immortalité de Dieu, & l'être prochain de la mort, sont bien

éloignés l'un de l'autre. Et si Dieu était éveillé, ou il

défaillait aucune chose à sa béatitude, ou il avait félicité toute

complète, & ni en l'un ni en l'autre sorte il ne se pouvait dire

bien heureux: car s'il lui défaillait quelque chose, il ne se

pouvait dire entièrement heureux: & s'il ne lui défaillait rien,

pour néant s'entremettait-il de vaine entreprise. Et s'il est un

Dieu, & que par sa prudence les choses humaine soient gouvernées,

comment est-ce que les méchants prospèrent en ce monde, & que les

bons & honnêtes souffrent au contraire? Car Agamemnon, qui était

comme dit le Poête,
 
 

En armes preux, & prudent en conseil,
 
 

fut par l'adultère de sa femme paillarde surpris & tué en

trahison: & Hercule, qui était son parent, qui avait repurgé la

vie humaine de tant de maux qui en troublaient le repos, étant

empoisonné par Deianira, fut semblablement occis en trahison.
 
 

III. Opinions de Thalès touchant Dieu. D'Anaximandre. De

Démocritus. De Pythagore. De Socrate & de Platon. D'Aristote.

Des Stoïques. D'Epicure.
 
 

Thalès dit que Dieu est l'âme du monde: Anaximandre, que les

astres sont les dieux célestes: Démocritus, que Dieu est un

entendement de nature du feu, l'âme du monde: Pythagore, que des

deux principes l'unité était Dieu, & le Bien, qui est la nature de

l'un & l'entendement: & que le nombre binaire indéfini était le

diable, & le mal, à qui appartient toute la multitude matérielle &

tout ce monde visible: Socrate & Platon, que c'est un unique &

simple de nature, né de soi-même, & seul & véritablement bon, &

tous ces noms là tendent à un entendement: cet entendement est

donc Dieu, forme séparée à part, c'est-à-dire, qui n'est même avec

matière quelconque, ni n'est conjoint à chose quelconque passible:

Aristote tient, que le Dieu suprême est une forme séparée, appuyée

sur la rondeur & sphère de l'univers, laquelle est un corps éthéré

& céleste, qu'il appelle le cinquième corps: & que tout ce corps

céleste étant divisé en plusieurs sphères de natures cohérentes &

séparées seulement d'intelligence, il estime chacune de ces

sphères-là être un animal composé de corps & d'âme, desquelles le

corps est éthéré, se mouvant circulairement, & l'âme raison

immobile cause de mouvement, selon l'action, [268]
 
 

Les Stoïques en général universellement définissent que Dieu est

un feu artificiel procédant par ordre à la génération du monde,

qui comprend en soi toutes les raisons des semences, desquelles

toutes choses fatalement se produisent & viennent à être: & un

esprit qui va & pénètre partout le monde changeant de nom &

d'appellation par toute la matière, où il pénètre par transition

de l'un en l'autre: & que le monde est Dieu, les étoiles, la

terre, & l'entendement suprême qui est au ciel.
 
 

Epicure tient, que tous les dieux ont forme d'homme, mais qu'ils

ne peuvent être aperçus que de la pensée seulement, pour la

subtilité de la nature de leur figure: & lui-même dit, que les

autres quatre natures en général sont incorruptibles, à savoir les

Atomes, le vide, l'infini, & les similitudes, lesquelles

s'appellent semblables parcelles & éléments.
 
 

CHAPITRE VIII.Des démons & demi-dieux.

 

 

Les démons sont substance spirituelle, & les demi-dieux âmes

séparées du corps.
 
 

Suivant le traité des dieux, il est convenable de traiter de la

nature des démons & des demi-dieux. Thalès, Pythagore, Platon &

les Stoïques tiennent que les démons sont substances spirituelles,

& que les demi-dieux sont âmes séparées des corps, & qu'il y en a

de bons & de mauvais: les bons sont les bonnes âmes, & les mauvais

les mauvaises. Mais Epicure ne reçoit rien de tout cela.
 
 

CHAPITRE IX.De la Matière.

 

 

Matière est le premier sujet, soumis à génération, corruption &

autres changements. Trois opinions sur ce point.
 
 

La matière est le premier sujet, soumis à génération & corruption,

& à autres mutations. Les sectateurs de Thalès & de Pythagore, &

les Stoïques, disent que cette matière est variable, muable,

altérable & glissant, tout & partout l'univers. Les disciples de

Démocrite tiennent, que les premiers Principes sont impassibles,

comme les Atomes, le vide & l'incorporel. Aristote & Platon que

la matière corporelle n'a forme, espèce, ni figure, ni qualité

quelconque quant à sa propriété, mais que quand elle a reçu ces

formes, elle en est comme la nourrice, le moule, la mère. Ceux

qui disent que c'est eau ou terre ou feu, ou air, ne disent plus

qu'elle soit sans forme, ains que c'est corps: & ceux qui tiennent

que ce sont Atomes indivisibles, la font informe. [269]
 
 

CHAPITRE X.De l'Idée.

 

 

Idée est ce qui donne forme & tire en évidence les matières

informes. 1. Opinion.(2). [Aristote] 3. [Stoïques]
 
 

Idée est la substance du corps, laquelle ne subsiste pas à part

elle, mais figure & donne forme aux matières informes, & est cause

de les faire venir en évidence. Socrate & Platon estiment que les

Idées soient substances séparables, de la matière, mais bien

subsistantes és pensements & imaginations de Dieu, c'est-à- dire,

de l'Entendement. Aristote n'a point ôté les Idées, autrement dit

espèces, mais non pas séparées de la matière les patrons de tout

ce que Dieu a fait. Les Stoïques, disciples de Zénon, ont dit,

que nos pensées étaient des Idées.
 
 

CHAPITRE XI.Des Causes.

 

 

Cause est ce dont dépend un effet ou pourquoi une chose advient, &

quelles elles sont.(1). Opinion [Pythagore & Aristote]. 2. [Les

Stoïques]
 
 

La cause est ce dont dépend un effet, ou ce pourquoi quelque chose

advient. Platon fait trois genres de causes: car il dit que c'est

par quoi, de quoi ou pour quoi: mais il estime que la principale

est par quoi, c'est-à- dire la cause efficiente, qui est

l'entendement. Pythagore & Aristote tiennent, que les premières

causes sont incorporelles, les autres causes par participation ou

par accident sont de substance corporelle, tellement que le monde

est corps. Les Stoïques tiennent, que toutes causes sont

corporelles, d'autant que ce sont esprits.
 
 

CHAPITRE XI.Des Corps.

 

 

Que c'est que corps, & ce qu'ont estimé Platon. Aristote. Les

Stoïques. Les Epicuriens.
 
 

Le corps qui est mesurable & divisible en trois sens, longueur,

largeur & profondeur: ou, le corps est une masse qui résiste au

toucher tant qu'en soi est, ou ce qui occupe lieu. Platon, ce qui

n'est ni pesant, ni léger, étant en son propre lieu naturel, mais

en lui étranger il a inclinaison premièrement & puis après

impulsion à pesanteur ou à légèreté. Aristote tient, que la terre

est la plus pesante simplement, & plus léger le feu, & l'eau entre

deux aucunefois ainsi aucunefois autrement. Les Stoïques, que des

quatre éléments, il y en deux légers, le feu & l'air: & deux

pesants, l'eau & la terre: car léger est ce qui par nature, & non

par instigation, part & se meut de son propre milieu; & pesant, ce

qui rend à son milieu: mais le milieu même n'est pas pourtant

pesant. Epicure tient, que les corps ne sont pas contenables &

que les premiers sont simples, mais que les composés d'iceux ont

tous pesanteur: que les Atomes se meuvent les uns à plomb, les

autres à côté, & aucun contre-mont, par un poussement &

percussion. [270]
 
 

CHAPITRE XIII.Des moindres Corpuscules.

 

 

Opinion d'Empédocle & d'Héraclite.
 
 

Empédocle est d'opinion, que devant les quatre Eléments il y a de

très petits fragments, comme Eléments devant Eléments, de

semblable parcelle, tous ronds. Héraclite introduit ne sait

quelle sciures ou raclures très petites, sans aucunes parties

indivisibles.
 
 

CHAPITRE XIV.Des Figures.

 

 

Figure est la superficie, circonscription & finissement du corps.
 
 

Figure est la superficie, circonscription & finissement du corps.

Les disciples de Pythagore tiennent, que les corps des quatre

Eléments sont ronds comme boules, & que le plus haut, qui est le

feu, est en forme de pyramide.
 
 

CHAPITRE XV.Des Couleurs.

 

 

Couleur est qualité visible du corps, & diverses opinions des

autres Philosophes.
 
 

Couleur est qualité visible du corps. Les Pythagoriques

appelaient couleur la superficie du corps: Empédocle, ce qui est

convenable aux conduits de la vue: Platon une flamme sortant des

corps, ayant des parcelles proportionnées à la vue: Zénon le

Stoïque, que les couleurs sont les premières figurations de la

matière. Les disciples de Pythagore tiennent, que les genres des

couleurs sont le blanc & le noir, le rouge & le jaune, & que la

diversité des couleurs, procède de certaine mixtion des Eléments,

& és animaux, de la différence de leurs m¦urs, & de l'air.
 
 

CHAPITRE XVI.De la coupe des corps.

 

 

Contrariétés des philosophes touchant la section des corps.
 
 

Les sectateurs de Thalès & de Pythagore, que les corps sont

passibles & divisibles jusqu'à l'infini, Démocrite & Epicure

tiennent, que la section s'arrête aux Atomes indivisibles; & aux

petits corps qui n'ont point de parties & que cette division ne

passe point outre à l'infini: Aristote dit que potentiellement ils

se divisent en infini, mais actuellement, non.
 
 

CHAPITRE XVII.De la mixtion & température.

 

 

Comment les Eléments se mêlent.
 
 

Les Anciens tiennent, que ceste mélange des Eléments se fait par

altération: mais Anaxagore & Démocrite di [271] sent que c'est par

apposition: Empédocle compose les Eléments de plus petites masses,

qu'il entend être les moindres corpuscules &, comme par manière de

dire, Eléments des Eléments: Platon est d'opinion, que les trois

corps (car il ne veut pas que ce soient proprement Eléments, ni ne

les daigne pas ainsi apeller) soient convertissables les uns és

autres, à savoir l'eau, l'air & le feu, mais que la terre ne se

peut tourner en pas un d'eux.
 
 

CHAPITRE XVIII.Du Vide.

 

 

Epicuriens contraires aux philosophes Ioniques en la dispute du

vide.
 
 

Les philosophes, naturels de l'école de Thalès, jusques à Platon,

ont tous généralement réprouvé le Vide. Empédocle écrit,
 
 

Le monde n'a rien vide ou superflu:
 
 

Leucippe, Démocrite, Démétrius, Métrodore, Epicure, tiennent, que

les Atomes sont infinis en multitude, & le Vide infini en la

magnitude: les Stoïques, que dedans le monde il n'y a rien de

vide, mais dehors infini: Aristote, qu'il y a hors du monde tant

de vide, que le ciel puisse respirer, dautant qu'il est de la

nature du feu.
 
 

CHAPITRE XIX.Du Lieu.

  

Opinion de Platon & d'Aristote.
 
 

Platon dit que c'est ce qui est susceptible des formes les unes

après les autres, qui était par translation exprimer la matière

première, comme une nourrice qui reçoit tout; Aristote, que c'est

superficie du contenant, conjoint & touchant au contenu.
 
 

CHAPITRE XX.De la Place.

 

 

Subtile distinction des Stoïques & Epicuriens.
 
 

Les Stoïques et Epicure tiennent, qu'il y a différence entre vide,

lieu & place: & que le vide était solitude des corps: le lieu, ce

qui était occupé du corps: & la place, ce qui est partie occupé,

comme il se voit en un tonneau de vin.
 
 

CHAPITRE XXI.Du Temps.

 

 

Trois avis touchant le temps.
 
 

Pythagore dit, que le temps est la sphère du dernier ciel, qui

contient tout: Platon l'image mobile de l'éternité, ou

l'intervalle du mouvement du monde: Eratosthène, le cours du

Soleil. [272]
 
 

CHAPITRE XXII.De l'essence du Temps.

 

 

Autres trois avis de l'essence d'icelui.
 
 

Platon, que l'essence du temps est le mouvement du ciel, plusieurs

des Stoïques, que c'est le mouvement même, & la plus part, que le

temps n'a point eu de commencement de génération, Platon qu'il a

été engendré selon l'intelligence & apercevance des hommes.

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CHAPITRE XXIII.Du mouvement.

 

 

Diverses opinions du mouvement, toutes condamnées par Héraclite.
 
 

Pythagore & Platon tiennent, que c'est mouvement & altération en

la matière: Aristote, que c'est l'actuelle opération de ce qui est

mobile: Démocrite, qu'il n'y a qu'un genre de mouvement en

travers: Epicure deux, l'un à plomb & l'autre à côté: Erophile,

qu'il y a un mouvement perceptible à l'entendement, un autre au

sens naturel, Héraclite ôtait toute station & tout repos des

choses de ce monde, disant que cela était propre aux morts: mais

que mouvement éternel était affecté aux substances éternelles; &

périssables aux substances corrompables.

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CHAPITRE XXIV.De la Génération & Corruption.

 

 

Les disciples de Zénon & Epicure condamnés par les Pythagoriques

sur le point de la génération & corruption.
 
 

Parménide, Mélissos & Zénon ôtaient toute génération & corruption,

dautant qu'ils estimaient l'univers être immobile: mais Empédocle

& Epicure & tous ceux qui tiennent que le monde est composé par un

amas de petits corpuscules, admettent bien des assemblements &

désassemblements, mais non pas des générations & corruptions, à

parler proprement, disant que cela ne se fait pas selon qualité

par altération, mais selon quantité par assemblement. Pythagore &

tout ceux qui supposent la matière passible, tiennent qu'il se

fait génération & corruption proprement, dautant qu'ils disent que

cela se fait par altération, mutation & résolution des Eléments.

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CHAPITRE XXV.De la Nécessité.

 

 

Nécessité très forte, embrassant le monde,cause de tout & une avec

Destinée, Justice, Providence & Dieu.
 
 

Thalès appelle la Nécessité très forte, comme celle qui tient tout

le monde; Pythagore disait que Nécessité embrasse le monde;

Parménide & Démocrite, que toutes choses se font par Nécessité, &

que c'est tout un que la Destinée, la Justice, la Providence,

l'ouvrier du monde. [273]

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CHAPITRE XXVI.De l'essence de Nécessité.

 

 

Discorde entre Platon, Empédocle & Démocrite sur ce point.
 
 

Platon réfère aucuns des événements à la Providence, autres à la

Nécessité: Empédocle, que l'essence de Nécessité est la cause

idoine à user des Principes & des Eléments: Démocrite, la

résistance, la corruption & la percussion de la matière: Platon

aucunefois, que c'est la matière, autrefois l'habitude l'agent

vers la matière.

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CHAPITRE XXVII.De la Destinée.

 

 

Opinions d'Héraclite. De Platon. Des Stoïques.
 
 

Héraclite, que toutes choses se font par Destinée, & que c'est la

Nécessité même: Platon reçoit bien la Nécessité és âmes & actions

des hommes, mais aussi y introduit-il la cause issante(7 )de nous.

Les Stoïques conformément à Platon tiennent, que Nécessité est une

cause invincible, & qui force tout: & que la Destinée est un

entrelacement de telles causes entrelacées de rang, auquel

enchainement est aussi comprise la cause procédante de nous,

tellement que quelques uns des événements sont destinés, les

autres plus que destinés.

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CHAPITRE XXVIII.De la substance de Destinée.

 

 

Avis d'Héraclite. Platon. Chrysippe. Des Stoïques. De

Posidonius.
 
 

Héraclite, que la substance de destinée est la raison, qui pénètre

par toute la substance de l'univers, & que c'est un corps céleste,

la substance de tout l'univers: Platon, que c'est la raison

éternelle, & la loi éternelle de la nature de l'univers:

Chrysippe, que c'est une puissance spirituelle, qui par ordre

gouverne & administre tout l'univers: & derechef au livre des

définitions: La Destinée est la raison du monde, ou bien la loi de

toutes les choses qui sont au monde administrées & gouvernées par

providence, ou la raison pour laquelle les choses passées ont été,

les présentes sont, & les futures seront. Les Stoïques, que c'est

une chaine des causes, c'est-à-dire, un ordre & une connexion, qui

ne se peut jamais forcer, ni transgresser. Posidonius, que c'est

la troisième après Jupiter, pour ce qu'il y a au premier degré

Jupiter, au second Nature, au troisième la destinée.

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CHAPITRE XXIX.De la Fortune.

 

 

Définitions différentes de Platon & d'Aristote, & la différence

qu'Aristote met entre Fortune & cas d'aventure, ensemble les avis

des autres Philosophes touchant la Fortune.
 
 

Platon, que c'est une cause par accident, & une conséquence és

choses procédantes du conseil de l'homme, [274] Aristote, que

c'est une cause fortuite & accidentelle és choses qui se font de

propos délibéré à quelque certaine fin, icelle cause non apparente

mais cachée. Qu'il différence entre Fortune & cas d'aventure,

pour ce que toute Fortune est bien aussi cas d'aventure és affaire

& action du monde: mais tout ce qui est cas d'aventure n'est pas

quand & quand Fortune, parce qu'il consiste en choses qui sont

hors d'action, & que la Fortune est proprement és actions des

créatures raisonnables: & cas d'aventure est tant des animaux

raisonnables que des irraisonnables, & des corps même qui n'ont

point de vie ni d'âme. Epicure, que c'est une cause qui n'accorde

point aux personnes, au temps, ni aux m¦urs. Anaxagore & les

Stoïques, que c'est une cause inconnue et cachée à la raison

humaine, parce qu'aucunes choses, adviennent par nécessité, autres

par destinée, autres par délibération propensée, autres par

Fortune, & autres par cas d'aventure.

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CHAPITRE XXX.De la Nature.

 

 

Nature est mixion & séparation des Eléments ou génération &

corruption.
 
 

Empédocle tient que la Nature n'est rien, mais qu'il y a mixion et

séparation des Eléments: car il écrit ainsi en son premier livre

de Physique,

 Je dirai plus, Ce n'est rien que Nature

 De tous humains, ni n'est la mort obscure,

 Termes ni fin, mais seule mixion

 Des Eléments & séparation,

 C'est cela seul que Nature on appelle.

 Anaxagore semblablement, que Nature est assemblement et

désassemblement, c'est-à-dire génération et corruption.
 
 

LIVRE SECOND

 

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