LES æUVRES MESLEES DE PLUTARQUE, TRANSLATEES DE GREC EN FRANCOIS,
REVUES ET CORRIGEES en plusieurs passages par le Translateur, AVEC
PREFACE GENERALE, Sommaires au commencement de chacun livre,
annotations en marge, de nouveau reveües & augmentées de moitié.
ENSEMBLE UN INDICE DES CHOSES memorables mentionnées esdites
¦uvres. TOME SECOND. A LYON, Pour PAUL FRELLON. MDCVII.
DES OPINIONS DES PHILOSOPHES
Division & distribution de la Philosophie. La Naturelle, la
Morale. La Verbale. Autre division, en Philosophie active &
contemplative.
Ayant proposé d'écrire la Philosophie naturelle, il me semble
nécessaire en premier lieu, & devant toute autre chose, mettre la
division & distribution de Philosophie, afin que nous sachions ce
que c'est que la Naturelle, & quelle part & portion elle est de
toute la Philosophie. Or donc les Philosophes Stoïques disent,
que sapience est la science de toutes choses tant divines
qu'humaines, & que Philosophie est profession & exercice de l'art
à ce convenable, qui est une seule suprême & souveraine vertu,
laquelle se divise en trois générales, la Naturelle, la Morale, &
la Verbale: à raison de quoi la Philosophie vient à être aussi
divisée en trois parties, l'une Naturelle, l'autre Morale, & la
tierce Verbale. La Naturelle est, quand nous enquérons &
disputons du monde, & des choses contenues en icelui, la Morale,
celle qui occupée à traiter de la bonté ou mauvaistié de la vie
humaine: la Verbale, celle qui traite de ce qui appartient à
discourir par raison, laquelle se nomme autrement Dialectique,
comme qui dirait disputatrice. Mais Aristote & Théophraste, &
presque tous les Péripatétiques entièrement, partissent la
Philosophie en cette sorte. Est nécessaire que l'homme pour être
parfait soit & contemplateur de ce qui est, & facteur de ce qu'il
doit, ce qu'on pourra plus clairement entendre sur ces exemples:
On demande, Si le Soleil est un animal, c'est-à-dire créature
animée ou non, ainsi qu'on le voit. Celui qui va recherchant la
vérité de cette proposition & question est contemplatif: car il ne
requiert & cherche que ce qui est. Semblablement Si le monde est
infini, & s'il y a aucune chose hors le contenu de ce monde:
toutes telles questions sont contemplatives. Mais d'un autre côté
on peut demander, Comment il faut vivre, & gouverner ses enfants,
comment il faut exercer un Magistrat, comment il faut établir des
lois: car toutes ces questions-là demande à l'intention de faire,
& telle vie se demande active & pratiquer.
Nature est le principe de mouvement & de repos, de ce en quoi elle
est premièrement & non par accident
Puis donc que nous avons proposé d'écrire & de traiter de la
Philosophie Naturelle, je pense qu'il soit nécessaire de déclare
premièrement ce que c'est que Nature: car il n'y aurait point de
propos de vouloir entrer en discours de choses naturelles, &
d'ignorer d'entrée ce que signifie nature. C'est donc selon
l'avis & l'opinion d'Aristote, le principe de mouvement & de
repos, de ce en quoi elle est premièrement & non par accident: car
toutes les choses qu'on voit qui ne se font ni par fortune, ni par
nécessité, & ne sont point divines, ni n'ont aucune de ces causes
efficientes, s'appellent naturelles, & ont une nature propre &
péculière, comme la terre, le feu, l'eau, l'air, les plantes, les
animaux. Et davantage, ces autres choses que nous voyons
s'engendrer ordinairement, comme pluie, grêle, foudre, vents &
autres semblables, ont quelque principe & commencement: car elles
n'ont pas leur être de toute éternité, ains ont quelque
commencement: & semblablement les animaux & les plantes ont aussi
principe de leur mouvement & ce principe premier là, c'est la
Nature, & non seulement principe de mouvement, mais aussi de
repos: car tout ce qui a eu principe de mouvement, aussi peut-il
avoir fin, & pour cette raison Nature est le principe de repos &
de mouvement.
Les principes sont simples & les Eléments
composés.
Aristote donc & Platon estiment qu'il y ait différence entre
Principe et Elément, mais Thalès Milésien pense que ce sont une
même chose Principe & Eléments, toutefois il y a bien une grande
différence, pour ce que les Eléments sont composés, mais que les
Principes ne sont point composés, ni aucune substance complette:
comme nous appelons Eléments, la terre, l'eau, l'air & le feu:
mais les Principes nous les appelons ainsi, pour autant qu'ils
n'ont rien précédant, dont ils soient engendrés: car autrement
s'ils n'étaient les premiers, ils ne seraient pas principes, ains
ce dont ils sont engendrés. Or il y a quelque chose précédantes,
dont sont composées la terre & l'eau, c'est à savoir, la matière
première sans forme quelconque ni espèce, & la forme que nous
appelons autrement Entéléchie, & puis privation, Thalès donc [257]
a failli en disant, que l'Eau était l'Elément & le Principe de
l'univers.
I. Thalès a estimé que l'eau fût le principe de toutes choses.
Ses raisons.
Thalès le Milésien a affirmé que l'eau était Principe de
l'univers, il a ce semble été le premier auteur de la Philosophie,
& de lui a été nommée la secte ionique des Philosophes: car il y a
eu plusieurs familles & successions de Philosophes, & ayant étudié
en Egypte, il s'en retourna tout vieil en la ville de Milet où il
maintint que toutes choses étaient composées d'eau & qu'elles se
résolvaient aussi toutes en eau. Ce qu'il conjecturait par une
telle raison, c'est que premièrement la semence est le principe de
tous animaux, laquelle semence est humide, ainsi il est
vraisemblable que toutes autres choses aussi ont leur principe
d'humidité. Secondement que toutes sortes de plantes sont
nourries d'humeur, & fructifient par humeur, & quand elles en ont
faute elles se dessèchent. Tiercement que le feu du Soleil même &
des astres se nourrit & entretient des vapeurs procédantes des
eaux, & par conséquent aussi pour tout le monde. C'est pourquoi
Homère, supposant que toutes choses sont engendrées
d'eau dit
L'Océan est père de toutes choses [Iliad.
li.14].
II. Anaximandre a attribué ce principe à l'infini.
Réfuté
Mais Anaximandre Milésien aussi tient, que l'infini est le
principe de toutes choses, pour ce que toutes choses sont
procédées de lui & toutes se résolvent en lui, & pourtant qu'il
s'engendre infinis mondes, lesquels puis après s'évanouissent en
ce dont ils sont engendrés: Pourquoi donc, dit-il, y a-t-il
l'infini? afin que la génération ne défaille jamais. Mais il
faut aussi ne déclarant pas ce que c'est que l'infini, si c'est
air, ou eau, ou terre ou quelque autre corps, & faut en ce, qu'il
met bien un sujet & une matière, mais il ne met pas une cause
efficiente: car cet infini n'est autre chose que la matière, mais
la matière ne peut venir en parfait être, s'il n'y a une cause
mouvante & efficiente.
III. Anaximène estime que ce soit l'air. Est
réfuté.
ANAXIMENE Milésien aussi maintient, que l'air était le Principe de
l'univers pour ce que toutes choses étaient engendrées de lui, &
derechef se résolvaient en lui: comme notre âme dit-il qui est
air, nous tient en vie, aussi l'esprit & l'air contient en être
tout ce monde: car esprit & air sont deux noms qui signifient une
même chose, mais celui-ci faut [258] aussi, pensant que les
animaux soient composés d'un simple & uniforme esprit & air: car
il est impossible qu'il n'y ait que un seul Principe de toutes
choses, qui est la matière, ains faut & quand supposer la cause
efficiente: ni plus ni moins que ce n'est pas assez d'avoir
l'argent pour faire un vase, s'il n'y a ensemble la cause
efficiente qui est l'orfèvre: autant en faut-il dire du cuivre, du
bois, & de toute autre matière.
IV. Anaxagore tient que ce sont parcelles semblables qu'il
appelait Hom¦oméries. Ses raisons.
Anaxagore le Clazoménien assura, que les Principes de toutes
choses étaient les menues parcelles semblables, qu'il appelait
Hom¦oméries: car il lui semblait totalement impossible que quelque
chose se pût résoudre en ce qui n'est pas. Or est-il que nous
prenons nourriture simple & uniforme, comme nous mangeons du pain
et du froment, & buvons de l'eau & néanmoins de cette nourriture
se nourrissent les cheveux, les veines, les artères, les nerfs &
les os, & les autres parties du corps. Puis qu'il est donc ainsi,
il faut aussi confesser qu'en cette nourriture que nous prenons,
sont toutes ces choses qui ont être, & que toutes choses
s'augmentent de ce qui a être, & en cette nourriture sont des
parties qui engendrent du sang, des nerfs des os, & des autres
parties de notre corps, qui se peuvent comprendre par le discours
de la raison, parce qu'il ne faut tout réduire aux sentiments de
la nature, pour montrer que le pain & l'eau fassent cela, ains
suffit qu'il y a des parties lesquelles se peuvent connaître par
la raison. Pour autant donc qu'en la nourriture y a des parties
semblables à ce qu'elles engendrent, à cette cause les appelait-il
Hom¦oméries, comme qui dirait parcelles semblables, & affirma que
c'étaient les Principes de toutes choses ainsi voulait-il que ces
parcelles semblables fussent la matière des choses, & que
l'entendement fût la cause efficiente qui a ordonné tout: si
commence son propos en cette sorte: Toutes choses étaient ensemble
pêle-mêle, mais l'entendement les sépara & mit par ordre. Pour le
moins en cela fait-il à louer, qu'à la matière il a adjoint
l'ouvrier.
V. Opinion d'Archelaüs touchant le principe de toutes
choses.
ARCHELAÜS, fils d'Apollodorus Athénien dit, que le Principe de
l'univers c'était l'air infini, & la raréfaction & condensation
d'icelui, dont l'un est le feu, & l'autre l'eau. Ceux-ci donc
étant par succession continuelle depuis Thalès venus les uns après
les autres, ont fait la secte qui s'appelle Ionique.
VI. Pythagore & ses disciples tiennent que les nombres sont les
Principes de toutes choses. Quel était le plus grand serment des
Pythagoriques & pourquoi. Que représente le deux. Que représente
le trois.
D'AUTRE part Pythagore, fils de Mnésarchus natif de l'île de
Samos, le premier qui a donné le nom à la Philosophie, a tenu que
les principes des choses étaient les nombres, & les symmétries,
c'est-à-dire, convenances & propor [259] tions qu'ils ont
entr'eux, lesquelles il appelle autrement Harmonies: & puis les
composés de ces deux Eléments qu'on dit Géométriques. Derechef il
met encore entre les Principes, l'Un & le Deux indéfini, & tend
l'un de ces principes à la cause efficiente & spécifique, qui est
l'entendement, c'est à savoir Dieu: l'autre à la cause passive &
matérielle, qui est ce monde visible. Davantage il estimait que
Dix était toute la nature du nombre, pour ce que les Grecs et les
Barbares tous comptent jusqu'à dix, puis quand ils y sont arrivés
jusqu'à la dizaine, il retournent derechef à l'unité. Et outre
disait encore que toute la puissance de dix consiste en quatre,
c'est-à-dire au nombre quaternaire: & la cause pourquoi, c'est que
si on recommence à l'un, & que selon l'ordre des nombres on les
ajoute jusqu'au quatre, on fera le nombre de dix, & si on surpasse
le quaternaire, aussi surpassera-t-on la dizaine: comme si on met
un & deux ensemble, ce sont trois, & trois avec sont six, & quatre
après ce sont dix, de sorte que tout le nombre, à le prendre d'un
à un, git en dix, & la force & puissance en quatre. Et pourtant
les Pythagoriques soulaient(3) jurer, comme par le plus grand
serment qu'ils eussent su faire, par le quaternaire,
Par le Saint Quatre, éternelle nature
Donnant à l'âme humaine, je te jure;
& notre âme, dit-il est composée de nombre quaternaire: car il y a
l'entendement, science, opinion & sentiment, dont procède toute
science & tout art, & dont nous-mêmes sommes appelés raisonnables.
Car l'entendement est l'unité, pour ce qu'il ne connait & n'entend
que par un, comme y ayant plusieurs hommes, les particuliers un à
un sont incompréhensibles par sentiment, attendus qu'ils sont
infinis, mais nous comprenons en pensée, cela seul Homme, & en
entendons un seulement, auquel nul n'est semblable: car les
particuliers qui les considèreraient à part sont infinis, ainsi
toutes espèces & tous genres sont en unité & pourtant quand on
demande de chaque particulier que c'est, nous en rendons une telle
définition générale, c'est un animal raisonnable, apte à discourir
par raison: ou bien animal apte à hennir. Voilà pourquoi
l'entendement est unité, par laquelle nous entendons cela. Mais
le deux & nombre binaire, indéfini, est à bon droit science: car
toute démonstration et toute probation est une sorte de science: &
davantage toute manière de syllogisme & ratiocination, collige &
infère une conclusion qui était douteuse, de quelques propositions
confessées, par où elle démontre facilement une autre chose, dont
[260] la compréhension est science: par ainsi apert-il que science
vraisemblablement est nombre binaire. Mais opinion bonne raison
peut se dire le nombre ternaire de la compréhension, pour ce que
l'opinion est de plusieurs. Or la ternaire est nombre de
multitude, comme quand le Poëte dit, O Grecs heureux trois fois.
C'est pourquoi Pythagore ne faisait point estime du trois, la
secte duquel a été appelée Italique, pour autant que Pythagore, ne
pouvant supporter la tyrannique domination de Polycratès, se
partit de Samos, qui était son pays, & s'en alla tenir son école
en Italie.
VII. Héraclite & Hippasus ont tenu que le feu était le principe
de toutes choses.
HERACLITE & Hippasus de la ville de Meraponte ont tenu, que le feu
était le principe de toutes choses, pour ce que toutes choses se
font de feu, & se terminent par feu, & quand il s'éteind, tout
l'univers monde en est engendré: car la plus grosse partie
d'icelui se serrant & épaississant en soi-même se fait terre,
laquelle venant à être lâchée par le feu, se convertit en eau, &
elle s'évaporant se tourne en air: & derechef le monde, & tous les
corps qui sont compris en icelui, seront un jour tous consumés par
le feu par quoi il concluait que le feu était le principe de
toutes choses, comme celui dont tout est: & la fin aussi, pour ce
que toutes choses se doivent résoudre en lui.
VIII. Epicure dit que ce sont les Atomes ou corps indivisibles, &
éternels & infinis, ayant pris cette opinion de
Démocrite.
Epicure, fils de Noclés Athénien, suivant l'opinion de Démocrite
dit, que les Principes de toutes choses sont les Atomes,
c'est-à-dire, corps indivisibles, perceptibles par la raison
seulement, solides sans rien de vide, non engendrés, immortels,
éternels, incorruptibles, qu'on ne saurait rompre ni leur donner
autre forme, ni autrement les altérer, & qu'ils ne sont
perceptibles ni compréhensibles que par la raison, mais qu'ils se
meuvent en un infini & par un infini qui est le vide, & que ces
corps sont en nombre infini, & ont ces trois qualités, figure,
grandeur & poids. Démocrite en mettait deux grandeurs & figure:
mais Epicure y ajoute pour le troisième le poids. Car il est,
disait-il, force que ces corps-là se meuvent par la percussion du
poids, car autrement ne se mouvraient-ils pas: & que les figures
de tels corps étaient compréhensibles, & non pas infinis, pour ce
qu'ils ne sont ni forme de hameçon, ni de fourche, ni de annelet,
d'autant que telles figures sont forts fragiles: & que les Atomes
sont tels qu'ils ne peuvent être rompus ni altérés, & ont
certaines figures qui sont perceptibles non autrement que par la
raison, & s'appellent Atomes, c'est-à-dire indivisibles, non pour
ce qu'ils soient les plus petits, mais pour ce qu'on ne les peut
mespartir, d'autant qu'ils sont impassibles, [261] & qu'ils n'ont
rien qui soit de vide, tellement que qui dit Atome, il dit
infragible, impassible, n'ayant rien de vide. Et qu'il y ait des
Atomes, il est tout apparent, parce qu'il y a des Elements
éternels des corps vides, & l'unité.
IX. Empédocle dit que l'accord, & le discord sont les Principes
de toutes choses.
EMPEDOCLE, fils de Meton, natif d'Agrigente, dit, qu'il y a quatre
Eléments, le feu, l'air, l'eau & la terre & deux Principes ou
facultés & puissances principales, accord & discord, dont l'un a
force & puissance d'assembler & unir, & l'autre de désassembler &
désunir: & dit ainsi:
Premièrement oy les quatre racines
Dont ce qui est prend tous ses origines:
Jupin ardent, & Junon soupirant,
Pluton le riche, & Nestis qui pleurant
Avec ses pleurs humecte la fontaine,
Dont sourd coulant toute semence humaine.
Jupiter est le feu, Junon l'air, Pluton la terre & Nestis
l'eau.
X. Socrate & Platon en posent trois, à savoir Dieu, la Matière, &
l'Idée.
Socrate, fils de Sophronisque Athénien, & Platon, fils d'Ariston
Athénien aussi (car les opinions de l'un & de l'autre, de quelque
chose que ce soit, sont toutes unes) mettent trois principes,
Dieu, la Matière & l'Idée. Dieu est l'entendement universel: la
Matière, le premier sujet supposé la génération & corruption:
l'Idée une substance incorporelle, étant en la pensée &
entendement de Dieu: & Dieu, l'entendement du monde.
X. Aristote met la forme, la matière & la
privation.
Aristote, fils de Nicomaque, natif de Stagire, met pour Principes,
la forme la matière, & la privation: pour Eléments, quatre, & pour
le cinquième, le corps céleste étant
immuable.
XI. Zénon met Dieu & la matière.
Zénon, fils de Mnéséas, natif de Citie, pour Principes met Dieu &
la matière, dont l'un est cause active, & l'autre passive, &
quatre Eléments.
Le monde composé de figure ronde, & ses principales parties
engendrées par rencontres des Atomes, opinion tirée de la
philosophie d'Epicure.
Le monde donc est venu a être composé & formé de figure ronde en
cette manière: les Atomes indivisibles ayant un mouvement fortuit
& non consulté ni proposé, & se mouvant très légèrement, &
continuellement, plusieurs corps sont venus à se rencontrer
ensemble, différents pour cette cause & de figure & de grandeur, &
s'assemblant en un: ceux qui étaient les plus gros & plus pesants
dévalaient en bas, & ceux qui étaient petits, ronds, polis &
labiles, [262] ceux-là à la rencontre des corps furent en pressant
repoussés & retirés contre mont; mais quand la force poussant vint
à défaillir, & que l'effort du poussement cessa de les envoyer
contre mont, ne pouvant retomber contre-bas, pour ce qu'ils en
étaient empêchés, par nécessité ils étaient contraints de se
retirer aux lieux qui les pouvaient recevoir, c'est à savoir ceux
qui étaient à l'entour, auxquels grande multitude de corps étaient
rebatus à l'environ, & venant en cette répercussions à
s'entrelacer les uns dedans les autres ils engendrèrent le ciel, &
puis d'autres encore de même nature de diverses formes, comme dit
est, étant aussi poussés contre-mont, parfirent la nature des
astres: & la multitude des corps rendant exhalaison & vapeur fit
l'air, & l'espreignit(4), lequel par le mouvement étant converti en
vent, comprenant avec soi les étoiles, les trouva contre & lui, &
a contregardé jusques aujourd'hui la révolution en rond, qu'ils
ont encore au haut du monde. Ainsi des corps qui dévalèrent au
fond, s'engendra la terre, & de ceux qui montèrent contre-mont, le
ciel, le feu, & l'air, mais à l'entour de la terre, y ayant encore
beaucoup de matière comprise & épaissie par les battements des
& menue figure fut espreint(5), & engendra l'élément de l'eau,
laquelle étant de nature fluide; s'encoula aval vers les lieux
creux & bas qui la pouvaient comprendre & contenir: ou bien l'eau
d'elle-même s'arrêtant creusa & cava les endroits qui étaient
dessous elle. Voilà comment les principales parties du monde ont
été engendrées.
I. Opinion des Stoïques.
Les Philosophes Stoïques ont tenu qu'il n'y avait qu'un monde,
lequel ils appelaient Tout, & la substance corporelle.
II. Empédocle.
Empédocle disait bien qu'il n'y avait qu'un monde, mais ce n'était
pas même chose que le monde & tout, & que le monde n'était qu'une
petite partie du tout, & que le reste était une
matière
oiseuse(6).
III. De Platon.
Platon prouve la conjecture de son opinion, qu'il n'y ait qu'un
monde, & que tout soit un, par trois arguments vraisemblables.
Premièrement, parce qu'autrement le monde ne serait pas parfait,
s'il ne comprenait tout en soi. Secondement, qu'il ne serait pas
semblable à son patron, s'il n'était unique. Tiercement, qu'il ne
serait pas incorruptible, s'il y avait quelque chose hors de
lui.
V. De Plutarque, lequel combat l'opinion de Platon.
MAIS il faut dire à l'encontre de Platon, que le monde est
parfait, & si ne comprend pas toutes [263] choses: car l'homme est
bien parfait, & si ne comprend pas toutes choses. Et puis qu'il y
a plusieurs exemplaires tirés d'un patron, comme és statues &
maisons & és peintures. Et comme il est parfait, si hors de lui
quelque chose peut tourner? Incorruptible n'est-il pas ni ne peut
être, attendu qu'il a été né.
VI. De Métrodore qui tient qu'il y a une infinité de
mondes.
METRODORE dit, que ce serait chose bien hors de propos que de
dire, qu'en un grand champ il ne crût qu'un épis de blé, &
qu'autant étrange serait-il qu'en l'infini il n'y eût qu'un monde.
Or qu'il y en ait eu multitude infinis, il apert de ce qu'il y a
des causes infinies: car si le monde est infini, & que les causes
dont il est composé soient infinies, il est force qu'ils soient il est force qu'ils soient
aussi infinis: car là où sont toutes les causes, là est-il force
que soient aussi les effets. Or sont les causes du monde les
Atomes, ou bien les Eléments.
I. Opinion des Stoïques touchant l'essence de Dieu.
Les Philosophes Stoïques définissent ainsi l'essence de Dieu, que
c'est un Esprit plein d'intelligence, de nature de feu, qui n'a
forme aucune de soi, mais se transforme en tout ce qu'il veut, &
se fait semblable à tout.
II. Qui a donné aux homme occasion de penser qu'il y eût un Dieu.
De la beauté & de la perfection du ciel. De la beauté & de la
perfection du ciel. Beau témoignage d'Euripide à ce
propos.
Si en ont les hommes eu appréhension & apercevance; premièrement,
la prenant de la beauté des choses qui apparaissent à nos yeux:
car il n'y a rien de beau qui ait été fait à l'aventure ni
fortuitement, ains faut qu'il ait été composé par quelque
ingénieuse artificielle nature. Or est le ciel beau, comme il
apparait à sa forme, à sa couleur & à sa grandeur & à la variété
des astres & étoiles qui se sont disposées en icelui. Et puis il
est rond comme une boule, qui est la première & plus parfaite de
toutes les figures: car elle est seule de toutes qui ressemblent à
ses propres parties, & étant rond il a les parties rondes aussi.
Voilà pourquoi Platon dit que l'entendement, & la raison, qui est
la plus divine partie de l'homme a été logée dedans la tête qui
approche la forme ronde: la couleur aussi en est belle, car elle
est teinte en bleu, lequel est plus obscur que n'est pas la
couleur de pourpre, mais il a une qualité brillante &
resplendissante telle, que par la véhémence de sa lueur, il fend
un si grand intervalle de l'air, & se fait voir d'une si éloignée
distance. Aussi est-il beau pour sa grandeur: car de toutes
choses qui sont d'un même genre, le dehors qui environne &
contient le [264] demeurant est toujours le plus beau, comme en
l'homme & en l'arbre. Et puis ce qui consomme la beauté du monde
sont les images célestes des signes & des étoiles qui nous
apparaissent: car le cercle oblique du Zodiaque est embelli de
diverses figures;
Le Cancre y est, & le Lion après,
La vierge suit, & les Forces de près,
Le Scorpion & l'Archer fuyant viennent,
Le Capricorne & le Verseau se tiennent,
Les deux Poissons, le Mouton, le Taureau,
Les deux Jumeaux font le bout du cerveau.
& autres innumérables configurations d'étoiles que Dieu a faites
en semblables voutes & rotondités du monde: voilà pourquoi
Euripide l'appelle
Splendeur du ciel estellé qui tout couvre.
Du sage ouvrier admirable chef-d'¦uvre.
Nous avons donc pris de là imagination de Dieu, que le Soleil, la
Lune, & les autres astres, après avoir fait le cours de leurs
révolutions sous la terre, viennent à renaître tous semblables en
couleur, égaux en grandeur, & en mêmes lieux
& en mêmes temps.
III. Trois diverses manières de servir & adorer les dieux,
enseignées entre les Païens, lesquelles sont puis après divisées
en sept espèces. D'où est dérivé le mot de Dieu. Toutes ces
subdivisions montrent l'aveuglement des pauvres Païens touchant la
vraie connaissance du vrai Dieu.
Et pourtant ceux qui nous ont baillé la manière de servir & adorer
les dieux, nous l'ont exposée par trois diverses voies, l'une
naturelle, la seconde fabuleuse, & la troisième civile,
c'est-à-dire témoignée par les statuts & ordonnances ce chaque
cité: & est enseignée la naturelle par les Philosophes, la
fabuleuse par les Poêtes, la civile & légitime par les us &
coutumes de chaque cité. Mais toute cette doctrine & manière
d'enseigner est divisée en sept espèces; la première est par les
apparences de corps célestes que nous apercevons au ciel: car les
hommes ont eu appréhension de Dieu par les astres qui nous
apparaissent, voyant comme ils sont cause d'un grand accord &
grande convenance, & qu'il y a toujours un certain ordre &
constance du jour & de la nuit, de l'hiver & de l'été, du lever &
du coucher du Soleil, & puis entre les animaux & les fruits que la
terre produit: pourtant ont-ils estimé que le ciel en était le
père, & la terre la mère, d'autant que le ciel verse les ravages
des eaux qui tiennent lieu de semences, & la terre les reçoit &
enfante: & considérant que ces astres faisaient toujours leurs
cours, & mêmement qu'ils étaient cause de ce que nous voyons, pour
cela ils ont appelé le Soleil & la Lune Theous, c'est-à- dire,
dieux, de ce mot Thein, qui signifie courir ou de Theorin, qui
signifie contempler. Ils ont puis après divisé les dieux en un
second & un tiers degré, c'est à [265] savoir en ceux qui
profitent & en ceux qui nuisent, appelant ceux qui profitent
Jupiter, Junon, Mercure, Cérès; & ceux qui nuisent, les malins
Esprits, les Furies, Mars, lesquels ils abominent & détestent,
comme mauvais & violent. En outre, ils ajoutent le quatrième &
cinquième lieu & degré aux affaires; & aux passions & affections,
comme Amour, Venus, Désir; & des affaires, comme Espérance,
Justice, bonne Police. Au sixième lieu sont ceux que les Poêtes
ont faits, comme Hésiode, voulant donner père aux dieux engendrés,
a de lui-même inventé & introduit de tels progéniteurs, Ceus,
Creus, Hyperion, Japetus, & pourtant ce genre-là est appelé
fabuleux. Le septième lieu est de ceux qui ont été honorés
d'honneurs divins, pour les grands biens par eux faits, à la
commune vie, encore qu'ils aient été engendrés & nés humainement,
comme Hercule, Castor & Polux, Bacchus. Et on dit que ces dieux
avaient forme d'hommes, d'autant que la plus noble & plus
excellente nature de toutes est celle des dieux, & entre les
animaux le plus beau est l'homme, orné de diverses vertus, & le
meilleur quant à la constitution & composition de l'entendement.
Voilà pourquoi on a estimé qu'il était raisonnable que ce qui
était le plus noble ressemblât à ce qui était le plus beau &
meilleur.
I. Diagoras & autres tiennent qu'il n'était point de
dieux.
Aucun des Philosophes, comme Diogoras Mélien, & Théodore Cyrénien,
& Evemerus natif de Tégée, ont tenu résolument qu'il n'était point
de dieux. Et quant à Evemerus Cyrénien, Callimacus le donne
couvertement à entendre en ses carmes Iambiques, là
où il dit,
Allez vous en tous en troupe à l'Eglise,
Qui hors les murs de la ville est assise,
Où le vieillard glorieux longtemps a
Le Jupiter de bronze composa:
C'est où le traître écrit ses méchants
livres.
ces méchants livres-là étaient ceux où il discourait qu'il n'y
avait point de dieux.
II. Euripide tient que pour contenir les hommes sous l'obéissance
des lois, on a mis en avant qu'il y avait un Dieu voyant toutes
choses. Blasphèmes contre la toute-puissance du vrai
Dieu.
Et Euripide ne s'osa pas découvrir, d'autant qu'il redoutait le
Sénat de l'Aréopagite; mais néanmoins il montra quelle était son
opinion, par telle manière, il introduisit Sisyphus, auteur de
cette opinion, & puis il favorise lui- même à sa
sentence.
Il fut un temps que la vie de l'homme
Désordonnée en ses faits ainsi comme
Des animaux plus farouches était, [266]
Et qu'en tout lieu le plus fort l'emportait.
Puis il dit que cette dissolution fut ôtée par l'introduction des
lois, mais pour ce que la loi pouvait bien réprimer les maléfices
qui se commettent évidemment, & qu'il y en avait plusieurs qui
péchaient néanmoins encore secrètement, alors il y eu quelque sage
homme, qui pensa en lui-même qu'il fallait toujours voiler la
vérité de quelque mensonge, & persuader aux
hommes
Qu'il est un Dieu vivant vie immortelle,
Qui voit & oit, & ressent chose telle.
Mais ôtant, dit-il, toute fiction & toute rêverie poêtique, avec
la raison de Callimaque qui dit,
S'il est un vrai Dieu, il est donc impossible,
Qu'il ne lui soit de tout faire possible.
Or est-il que Dieu ne peut pas tout faire: car s'il est Dieu qu'il
fasse que la neige soit noire, & le feu froid, & que ce qui est
couché soit debout, & au contraire. Car Platon même le magnifique
parleur, quand il dit que Dieu créa le monde à son moule & patron,
sent fort sa rance & moisie simplesse d'antiquité, comme disent
les Poêtes de l'ancienne comédie: car comment se regardait-il
soi-même pour former ce monde à sa figure? & comment a-t-il fait
Dieu rond comme une boule, & plus bas que l'homme?
III. Opinion contraire d'Anaxagore & de Platon, touchant la
création & disposition des choses, & par qui elles ont été faites
& rangées. Plutarque dispute au contraire, & veut (sans raison
toutefois) renverser la providence divine, mêlant les disputes,
grief montrant l'aveuglement de la sagesse humaine destituée de la
parole de Dieu. Subtilités ridicules de l'homme ignorant & vain
qui veut disputer de la science & vérité, laquelle surmonte son
entendement.
ANAXAGORE dit que les premiers corps du commencement étaient en
repos & ne bougeaient, mais que l'entendement de Dieu les ordonna
& arrangea, & fit les générations de toutes choses. Platon au
contraire dit, que ces premiers corps là n'étaient point en repos,
& qu'ils se mouvaient confusément & sans ordre, mais que Dieu
entendant bien que l'ordre vaut beaucoup mieux que la confusion,
mit toutes choses par ordre. L'un & l'autre donc en cela ont fait
une même faute commune, qu'ils ont estimé, que Dieu eût soin des
choses humaines, & qu'il eût fabriqué ce monde expressément pour
en avoir le soin. Car un animal bienheureux & immortel, accomplis
de toutes sortes de biens, sans aucune participation de mal,
totalement dédié à retenir & conserver sa béatitude & son
immortalité, ne peut avoir soin des affaires des hommes, autrement
il serait aussi malheureux comme un man¦uvre, ou comme un maçon
travaillant à porter de gros fardeaux, & ressuant à la fabrique &
gouvernement de ce monde. Davantage, ce Dieu dont ils parlent, il
est force ou qu'il ne fût point avant la création du monde lors
que les premiers corps étaient immobiles, ou que ils se mouvaient
confusément; ou bien s'il était, ou il dor mait[267], ou il ne
faisait ni l'une ni l'autre. Or est-il, que ni l'un ni l'autre
n'est à confesser: car le premier ne faut-il pas admettre, pour ce
que Dieu est éternel: ni le second aussi, pour ce que s'il dormait
de toute éternité, il était mort: car un dormir éternel c'est la
mort; & qui plus est, Dieu ne peut être susceptible de sommeil:
car l'immortalité de Dieu, & l'être prochain de la mort, sont bien
éloignés l'un de l'autre. Et si Dieu était éveillé, ou il
défaillait aucune chose à sa béatitude, ou il avait félicité toute
complète, & ni en l'un ni en l'autre sorte il ne se pouvait dire
bien heureux: car s'il lui défaillait quelque chose, il ne se
pouvait dire entièrement heureux: & s'il ne lui défaillait rien,
pour néant s'entremettait-il de vaine entreprise. Et s'il est un
Dieu, & que par sa prudence les choses humaine soient gouvernées,
comment est-ce que les méchants prospèrent en ce monde, & que les
bons & honnêtes souffrent au contraire? Car Agamemnon, qui était
comme dit le Poête,
En armes preux, & prudent en conseil,
fut par l'adultère de sa femme paillarde surpris & tué en
trahison: & Hercule, qui était son parent, qui avait repurgé la
vie humaine de tant de maux qui en troublaient le repos, étant
empoisonné par Deianira, fut semblablement occis en
trahison.
III. Opinions de Thalès touchant Dieu. D'Anaximandre. De
Démocritus. De Pythagore. De Socrate & de Platon. D'Aristote.
Des Stoïques. D'Epicure.
Thalès dit que Dieu est l'âme du monde: Anaximandre, que les
astres sont les dieux célestes: Démocritus, que Dieu est un
entendement de nature du feu, l'âme du monde: Pythagore, que des
deux principes l'unité était Dieu, & le Bien, qui est la nature de
l'un & l'entendement: & que le nombre binaire indéfini était le
diable, & le mal, à qui appartient toute la multitude matérielle &
tout ce monde visible: Socrate & Platon, que c'est un unique &
simple de nature, né de soi-même, & seul & véritablement bon, &
tous ces noms là tendent à un entendement: cet entendement est
donc Dieu, forme séparée à part, c'est-à-dire, qui n'est même avec
matière quelconque, ni n'est conjoint à chose quelconque passible:
Aristote tient, que le Dieu suprême est une forme séparée, appuyée
sur la rondeur & sphère de l'univers, laquelle est un corps éthéré
& céleste, qu'il appelle le cinquième corps: & que tout ce corps
céleste étant divisé en plusieurs sphères de natures cohérentes &
séparées seulement d'intelligence, il estime chacune de ces
sphères-là être un animal composé de corps & d'âme, desquelles le
corps est éthéré, se mouvant circulairement, & l'âme raison
immobile cause de mouvement, selon l'action, [268]
Les Stoïques en général universellement définissent que Dieu est
un feu artificiel procédant par ordre à la génération du monde,
qui comprend en soi toutes les raisons des semences, desquelles
toutes choses fatalement se produisent & viennent à être: & un
esprit qui va & pénètre partout le monde changeant de nom &
d'appellation par toute la matière, où il pénètre par transition
de l'un en l'autre: & que le monde est Dieu, les étoiles, la
terre, & l'entendement suprême qui est au ciel.
Epicure tient, que tous les dieux ont forme d'homme, mais qu'ils
ne peuvent être aperçus que de la pensée seulement, pour la
subtilité de la nature de leur figure: & lui-même dit, que les
autres quatre natures en général sont incorruptibles, à savoir les
Atomes, le vide, l'infini, & les similitudes, lesquelles
s'appellent semblables parcelles & éléments.
Les démons sont substance spirituelle, & les demi-dieux âmes
séparées du corps.
Suivant le traité des dieux, il est convenable de traiter de la
nature des démons & des demi-dieux. Thalès, Pythagore, Platon &
les Stoïques tiennent que les démons sont substances spirituelles,
& que les demi-dieux sont âmes séparées des corps, & qu'il y en a
de bons & de mauvais: les bons sont les bonnes âmes, & les mauvais
les mauvaises. Mais Epicure ne reçoit rien de tout
cela.
Matière est le premier sujet, soumis à génération, corruption &
autres changements. Trois opinions sur ce point.
La matière est le premier sujet, soumis à génération & corruption,
& à autres mutations. Les sectateurs de Thalès & de Pythagore, &
les Stoïques, disent que cette matière est variable, muable,
altérable & glissant, tout & partout l'univers. Les disciples de
Démocrite tiennent, que les premiers Principes sont impassibles,
comme les Atomes, le vide & l'incorporel. Aristote & Platon que
la matière corporelle n'a forme, espèce, ni figure, ni qualité
quelconque quant à sa propriété, mais que quand elle a reçu ces
formes, elle en est comme la nourrice, le moule, la mère. Ceux
qui disent que c'est eau ou terre ou feu, ou air, ne disent plus
qu'elle soit sans forme, ains que c'est corps: & ceux qui tiennent
que ce sont Atomes indivisibles, la font informe. [269]
Idée est ce qui donne forme & tire en évidence les matières
informes. 1.
Opinion.(2).
[Aristote] 3. [Stoïques]
Idée est la substance du corps, laquelle ne subsiste pas à part
elle, mais figure & donne forme aux matières informes, & est cause
de les faire venir en évidence. Socrate & Platon estiment que les
Idées soient substances séparables, de la matière, mais bien
subsistantes és pensements & imaginations de Dieu, c'est-à- dire,
de l'Entendement. Aristote n'a point ôté les Idées, autrement dit
espèces, mais non pas séparées de la matière les patrons de tout
ce que Dieu a fait. Les Stoïques, disciples de Zénon, ont dit,
que nos pensées étaient des Idées.
Cause est ce dont dépend un effet ou pourquoi une chose advient, &
quelles elles sont.(1). Opinion [Pythagore & Aristote]. 2. [Les
Stoïques]
La cause est ce dont dépend un effet, ou ce pourquoi quelque chose
advient. Platon fait trois genres de causes: car il dit que c'est
par quoi, de quoi ou pour quoi: mais il estime que la principale
est par quoi, c'est-à- dire la cause efficiente, qui est
l'entendement. Pythagore & Aristote tiennent, que les premières
causes sont incorporelles, les autres causes par participation ou
par accident sont de substance corporelle, tellement que le monde
est corps. Les Stoïques tiennent, que toutes causes sont
corporelles, d'autant que ce sont esprits.
Que c'est que corps, & ce qu'ont estimé Platon. Aristote. Les
Stoïques. Les Epicuriens.
Le corps qui est mesurable & divisible en trois sens, longueur,
largeur & profondeur: ou, le corps est une masse qui résiste au
toucher tant qu'en soi est, ou ce qui occupe lieu. Platon, ce qui
n'est ni pesant, ni léger, étant en son propre lieu naturel, mais
en lui étranger il a inclinaison premièrement & puis après
impulsion à pesanteur ou à légèreté. Aristote tient, que la terre
est la plus pesante simplement, & plus léger le feu, & l'eau entre
deux aucunefois ainsi aucunefois autrement. Les Stoïques, que des
quatre éléments, il y en deux légers, le feu & l'air: & deux
pesants, l'eau & la terre: car léger est ce qui par nature, & non
par instigation, part & se meut de son propre milieu; & pesant, ce
qui rend à son milieu: mais le milieu même n'est pas pourtant
pesant. Epicure tient, que les corps ne sont pas contenables &
que les premiers sont simples, mais que les composés d'iceux ont
tous pesanteur: que les Atomes se meuvent les uns à plomb, les
autres à côté, & aucun contre-mont, par un poussement &
percussion. [270]
Opinion d'Empédocle & d'Héraclite.
Empédocle est d'opinion, que devant les quatre Eléments il y a de
très petits fragments, comme Eléments devant Eléments, de
semblable parcelle, tous ronds. Héraclite introduit ne sait
quelle sciures ou raclures très petites, sans aucunes parties
indivisibles.
Figure est la superficie, circonscription & finissement du
corps.
Figure est la superficie, circonscription & finissement du corps.
Les disciples de Pythagore tiennent, que les corps des quatre
Eléments sont ronds comme boules, & que le plus haut, qui est le
feu, est en forme de pyramide.
Couleur est qualité visible du corps, & diverses opinions des
autres Philosophes.
Couleur est qualité visible du corps. Les Pythagoriques
appelaient couleur la superficie du corps: Empédocle, ce qui est
convenable aux conduits de la vue: Platon une flamme sortant des
corps, ayant des parcelles proportionnées à la vue: Zénon le
Stoïque, que les couleurs sont les premières figurations de la
matière. Les disciples de Pythagore tiennent, que les genres des
couleurs sont le blanc & le noir, le rouge & le jaune, & que la
diversité des couleurs, procède de certaine mixtion des Eléments,
& és animaux, de la différence de leurs
m¦urs, & de l'air.
Contrariétés des philosophes touchant la section des
corps.
Les sectateurs de Thalès & de Pythagore, que les corps sont
passibles & divisibles jusqu'à l'infini, Démocrite & Epicure
tiennent, que la section s'arrête aux Atomes indivisibles; & aux
petits corps qui n'ont point de parties & que cette division ne
passe point outre à l'infini: Aristote dit que potentiellement ils
se divisent en infini, mais actuellement, non.
Comment les Eléments se mêlent.
Les Anciens tiennent, que ceste mélange des Eléments se fait par
altération: mais Anaxagore & Démocrite di [271] sent que c'est par
apposition: Empédocle compose les Eléments de plus petites masses,
qu'il entend être les moindres corpuscules &, comme par manière de
dire, Eléments des Eléments: Platon est d'opinion, que les trois
corps (car il ne veut pas que ce soient proprement Eléments, ni ne
les daigne pas ainsi apeller) soient convertissables les uns és
autres, à savoir l'eau, l'air & le feu, mais que la terre ne se
peut tourner en pas un d'eux.
Epicuriens contraires aux philosophes Ioniques en la dispute du
vide.
Les philosophes, naturels de l'école de Thalès, jusques à Platon,
ont tous généralement réprouvé le
Vide. Empédocle écrit,
Le monde n'a rien vide ou superflu:
Leucippe, Démocrite, Démétrius, Métrodore, Epicure, tiennent, que
les Atomes sont infinis en multitude, & le Vide infini en la
magnitude: les Stoïques, que dedans le monde il n'y a rien de
vide, mais dehors infini: Aristote, qu'il y a hors du monde tant
de vide, que le ciel puisse respirer, dautant qu'il est de la
nature du feu.
Opinion de Platon & d'Aristote.
Platon dit que c'est ce qui est susceptible des formes les unes
après les autres, qui était par translation exprimer la matière
première, comme une nourrice qui reçoit tout; Aristote, que c'est
superficie du contenant, conjoint & touchant au contenu.
Subtile distinction des Stoïques & Epicuriens.
Les Stoïques et Epicure tiennent, qu'il y a différence entre vide,
lieu & place: & que le vide était solitude des corps: le lieu, ce
qui était occupé du corps: & la place, ce qui est partie occupé,
comme il se voit en un tonneau de vin.
Trois avis touchant le temps.
Pythagore dit, que le temps est la sphère du dernier ciel, qui
contient tout: Platon l'image mobile de l'éternité, ou
l'intervalle du mouvement du monde: Eratosthène, le cours du
Soleil. [272]
Autres trois avis de l'essence d'icelui.
Platon, que l'essence du temps est le mouvement du ciel, plusieurs
des Stoïques, que c'est le mouvement même, & la plus part, que le
temps n'a point eu de commencement de génération, Platon qu'il a
été engendré selon l'intelligence & apercevance des hommes.
Diverses opinions du mouvement, toutes condamnées par
Héraclite.
Pythagore & Platon tiennent, que c'est mouvement & altération en
la matière: Aristote, que c'est l'actuelle opération de ce qui est
mobile: Démocrite, qu'il n'y a qu'un genre de mouvement en
travers: Epicure deux, l'un à plomb & l'autre à côté: Erophile,
qu'il y a un mouvement perceptible à l'entendement, un autre au
sens naturel, Héraclite ôtait toute station & tout repos des
choses de ce monde, disant que cela était propre aux morts: mais
que mouvement éternel était affecté aux substances éternelles; &
périssables aux substances corrompables.
Les disciples de Zénon & Epicure condamnés par les Pythagoriques
sur le point de la génération & corruption.
Parménide, Mélissos & Zénon ôtaient toute génération & corruption,
dautant qu'ils estimaient l'univers être immobile: mais Empédocle
& Epicure & tous ceux qui tiennent que le monde est composé par un
amas de petits corpuscules, admettent bien des assemblements &
désassemblements, mais non pas des générations & corruptions, à
parler proprement, disant que cela ne se fait pas selon qualité
par altération, mais selon quantité par assemblement. Pythagore &
tout ceux qui supposent la matière passible, tiennent qu'il se
fait génération & corruption proprement, dautant qu'ils disent que
cela se fait par altération, mutation & résolution des Eléments.
Nécessité très forte, embrassant le monde,cause de tout & une avec
Destinée, Justice, Providence & Dieu.
Thalès appelle la Nécessité très forte, comme celle qui tient tout
le monde; Pythagore disait que Nécessité embrasse le monde;
Parménide & Démocrite, que toutes choses se font par Nécessité, &
que c'est tout un que la Destinée, la Justice, la Providence,
l'ouvrier du monde. [273]
Discorde entre Platon, Empédocle & Démocrite sur
ce point.
Platon réfère aucuns des événements à la Providence, autres à la
Nécessité: Empédocle, que l'essence de Nécessité est la cause
idoine à user des Principes & des Eléments: Démocrite, la
résistance, la corruption & la percussion de la matière: Platon
aucunefois, que c'est la matière, autrefois l'habitude l'agent
vers la matière.
Opinions d'Héraclite. De Platon. Des Stoïques.
Héraclite, que toutes choses se font par Destinée, & que c'est la
Nécessité même: Platon reçoit bien la Nécessité és âmes & actions
des hommes, mais aussi y introduit-il la cause issante(7 )de nous.
Les Stoïques conformément à Platon tiennent, que Nécessité est une
cause invincible, & qui force tout: & que la Destinée est un
entrelacement de telles causes entrelacées de rang, auquel
enchainement est aussi comprise la cause procédante de nous,
tellement que quelques uns des événements sont destinés, les
autres plus que destinés.
Avis d'Héraclite. Platon. Chrysippe. Des Stoïques. De
Posidonius.
Héraclite, que la substance de destinée est la raison, qui pénètre
par toute la substance de l'univers, & que c'est un corps céleste,
la substance de tout l'univers: Platon, que c'est la raison
éternelle, & la loi éternelle de la nature de l'univers:
Chrysippe, que c'est une puissance spirituelle, qui par ordre
gouverne & administre tout l'univers: & derechef au livre des
définitions: La Destinée est la raison du monde, ou bien la loi de
toutes les choses qui sont au monde administrées & gouvernées par
providence, ou la raison pour laquelle les choses passées ont été,
les présentes sont, & les futures seront. Les Stoïques, que c'est
une chaine des causes, c'est-à-dire, un ordre & une connexion, qui
ne se peut jamais forcer, ni transgresser. Posidonius, que c'est
la troisième après Jupiter, pour ce qu'il y a au premier degré
Jupiter, au second Nature, au troisième la destinée.
Définitions différentes de Platon & d'Aristote, & la différence
qu'Aristote met entre Fortune & cas d'aventure, ensemble les avis
des autres Philosophes touchant la Fortune.
Platon, que c'est une cause par accident, & une conséquence és
choses procédantes du conseil de l'homme, [274] Aristote, que
c'est une cause fortuite & accidentelle és choses qui se font de
propos délibéré à quelque certaine fin, icelle cause non apparente
mais cachée. Qu'il différence entre Fortune & cas d'aventure,
pour ce que toute Fortune est bien aussi cas d'aventure és affaire
& action du monde: mais tout ce qui est cas d'aventure n'est pas
quand & quand Fortune, parce qu'il consiste en choses qui sont
hors d'action, & que la Fortune est proprement és actions des
créatures raisonnables: & cas d'aventure est tant des animaux
raisonnables que des irraisonnables, & des corps même qui n'ont
point de vie ni d'âme. Epicure, que c'est une cause qui n'accorde
point aux personnes, au temps, ni aux m¦urs. Anaxagore & les
Stoïques, que c'est une cause inconnue et cachée à la raison
humaine, parce qu'aucunes choses, adviennent par nécessité, autres
par destinée, autres par délibération propensée, autres par
Fortune, & autres par cas d'aventure.
Nature est mixion & séparation des Eléments ou génération &
corruption.
Empédocle tient que la Nature n'est rien, mais qu'il y a mixion et
séparation des Eléments: car il écrit ainsi en son premier livre
de Physique,
Je dirai plus, Ce n'est rien que Nature
De tous humains, ni n'est la mort obscure,
Termes ni fin, mais seule mixion
Des Eléments & séparation,
C'est cela seul que Nature on appelle.
Anaxagore semblablement, que Nature est assemblement et
désassemblement, c'est-à-dire
génération et corruption.
[