LES æUVRES MESLEES DE PLUTARQUE, TRANSLATEES DE GREC EN FRANCOIS,

REVUES ET CORRIGEES en plusieurs passages par le Translateur, AVEC

PREFACE GENERALE, Sommaires au commencement de chacun livre,

annotations en marge, de nouveau reveües & augmentées de moitié.

ENSEMBLE UN INDICE DES CHOSES memorables mentionnées esdites

¦uvres. TOME SECOND. A LYON, Pour PAUL FRELLON. MDCVII.
 
 
 

[295] DES OPINIONS DES PHILOSOPHES

  RETOUR à COSMOS RETOUR à VIOLA TRICOLOR

 

 

LIVRE QUATRIEME

  De la montée & débordement du Nil. II. De l'âme III. Si l'Ame est corps... IV. Des parties de l'Ame. V. Qu'elle est la maîtresse, & principale partie de l'Ame, VI. Du mouvement de l'Ame VII. De l'immortalité de l'Ame VIII. Des sentiments & choses sensibles. IX. Si les sentiments sont véritables X. Combien il y a de sentiments XI. Comment se fait le sentiment & l'intelligence. XII. Quelle différence il y a entre imagination XIII. De la vue, & comment nous voyons XV. Si les ténèbres sont visibles. XVI. De l'OuIe. XVII. De l'Odorement. XVIII. Du goût. XIX. De la Voix. XX. Si la voix n'a point de corps,... XXI. D'où est-ce que l'âme sent... XXI. De la respiration. XXIII. Des passions du corps NOTES

 

Ayant couru les générales parties du monde, je passerai maintenant

aux particulières.
 
 

CHAPITRE I. De la montée & débordement du Nil.

 
 

Opinions diverses de Thalès, d'Euthymène, d'Anaxagore. De

Démocrite, d'Hérodote, d'Ephorus, d'Eudoxe.
 
 

Thalès estime que les vents anniversaires, qu'on appelle Etesiens,

soufflant directement à l'opposite d'Egypte, font lever les eaux

du Nil, pourautant que la mer poussée par ces vents entre dedans

la bouche de la rivière, & empêche qu'elle ne s'écoule & dégorge

librement étant repoussée contre- mont. Euthymène de Marseille

pense que cette rivière s'enfle, & se remplit de l'eau de l'Océan,

& de la grande mer, qui est hors des lettres, laquelle à son avis

est douce. Anaxagore dit, que cela vient de la neige de

l'Ethiopie, qui se fond en été, & se gèle en hiver. Démocrite,

que c'est de la neige qui est vers le Septentrion, laquelle se

fond & se répand environ le solstice de l'été, d'autant que des

vapeurs s'engendrent les nuées, lesquelles étant poussées par les

vents en Ethiopie & en Egypte, vers les parties du Midi, font de

grandes & véhémentes pluies, desquelles les lacs & la rivière du

Nil se remplissent. Hérodote l'historien dit, qu'il y a autant

d'eau en hiver qu'en été, partant de ses sources, mais qu'il nous

apparaît en avoir moins d'hiver, d'autant que le Soleil étant plus

près de l'Egypte en hiver, fait évaporer toutes les eaux. Ephorus

l'historiographe écrit, que toute l'Egypte se résoud & se fond

toute, par manière de dire, à quoi lui contribue encore ses eaux

l'Arabie, & la Lybie, dautant que la terre y est légère &

sablonneuse. Eudoxe dit, que c'est à cause de la contrariété des

saisons, & des grandes pluies, pource que quand il nous est été, à

nous qui sommes habitants dedans la Zone, ou bande de l'été, alors

il est hiver à ceux qui habitent en la bande opposite sous le

tropique hivernal, d'où procède, dit-il, ce grand ravage d'eau.
 
 

CHAPITRE II. De l'âme.
 
 

L'Ame se meut soi-même toujours.
 
 

Thalès a été le premier qui a défini l'âme, une nature se mouvant

toujours, & soi-même: Pythagore [296] que c'est un nombre se

mouvant soi- même, & ce nombre-là il le prend pour l'entendement:

Platon, que c'est une substance spirituelle se mouvant soi-même, &

par nombre harmonique: Aristote, que c'est l'acte premier d'un

corps naturel organique, ayant vie en puissance: Dicæarchus, que

c'est l'harmonie & concordance des quatre Eléments: Asclépiade le

médecin, que c'est un exercice commun de tous les sentiments

ensemble.
 
 

CHAPITRE III. Si l'Ame est corps, & qu'elle [sic!] est sa substance.
 
 

L'Ame est une substance spirituelle;
 
 

Tous ces Philosophes-là, que nous avons mis ci-devant, supposent

que l'âme est incorporelle de sa nature, & que elle se meut

elle-même, que c'est une substance spirituelle, & une action d'un

corps naturel, composé de plusieurs organes, ayant vie: mais les

sectateurs d'Anaxagore disent, que c'est un esprit ou vent chaud.

Démocrite que c'est une certaine composition en feu des choses

perceptibles par la raison, qui ont leurs formes rondes, & leur

puissance de feu, ce qui est corps. Epicure, que c'est un mélange

& température de quatre choses, de ne sais quoi de feu, ne sais

quoi d'air, ne sait quoi de vent, & d'une autre quatrième qui n'a

point de nom, qui est à lui la force sensitive. Héraclite, que

l'âme du monde est l'évaporation des humeurs, qui sont en lui, &

que l'âme des animaux procède tant de l'évaporation des humeurs de

dehors, que du dedans & de même genre.
 
 

CHAPITRE IV. Des parties de l'Ame.
 
 

Partie raisonnable & irraisonnable de l'âme, & comment

distinguées.
 
 

Pythagore, Platon, à le prendre à la plus générale division,

tiennent que l'âme a deux parties, c'est à savoir la partie

raisonnable, & la partie irraisonnable: mais à y regarder de plus

près & plus exactement, elle a trois parties, car ils sous-

divisent la partie irraisonnable en la concupiscence & en

l'irrascible. Les Stoïques disent, qu'elle est composée de huit

parties, cinq des sens naturels, le sixième, la voix, le septième,

la semence, le huitième, l'entendement, par lesquelles toutes les

autres sont commandées par ces propres instruments; ni plus ni

moins que le poulpe se sert de ses branches. Démocrite & Epicure

mettent deux parties en l'âme, la partie raisonna [297] ble logée

en l'estomac, & l'autre éparse par tout le corps: Démocrite met,

que toutes choses sont participantes de quelque sorte d'âme,

jusques aux corps morts, d'autant que manifestement ils sont

encore participants de quelque chaleur, & de quelque sentiment, la

plus part en étant jà (17) éventée.
 
 

CHAPITRE V. Qu'elle [sic!] est la maîtresse, & principale partie

de l'Ame, & où elle est.
 
 

Siège de l'âme.
 
 

Platon & Démocrite, en toute la tête: Straton, entre les deux

sourcils: Erasistrate, en la raie qui enveloppe le cerveau,

laquelle il appelle Epicranidès: Erophile, dedans le ventricule du

cerveau, qui en est le fondement: Parménide en tout l'estomac. Et

Epicure, les Stoïques tous, en tout le c¦ur, ou bien en l'esprit

qui est à l'entour du c¦ur: Diogène, en la cavité qui est en

l'artère du c¦ur, qui est pleine d'Esprit. Empédocle, en la

consistance du sang: les autres, au col du c¦ur: les autres, en la

taie qui est autour du c¦ur: autres dedans le diaphragme. Aucuns

des modernes tiennent qu'elle occupe tout depuis la tête jusqu'à

la traverse du diaphragme: Pythagore, que la partie vitale est à

l'entour du c¦ur: la raison & la partie spirituelle en la tête.
 
 

CHAPITRE VI. Du mouvement de l'Ame.
 
 

L'Ame est en perpétuel mouvement.
 
 

Platon, que l'âme est toujours mouvante, & l'entendement immobile

quant à mouvement de lieu à autre: Aristote, que l'âme est

immobile, encore que ce soit elle qui régisse & meuve tout

mouvement, mais bien en est participante par accident, selon que

les divers corps se meuvent.
 
 

CHAPITRE VII. De l'immortalité de l'Ame.
 
 

L'Ame est immortelle, ce que les Philosophes ont compris

obscurément & mal pour la plus part: les autres l'ont ignoré & nié.
 
 

Pythagore, Platon, que l'âme est immortelle: car en sortant du

corps elle s'en retourne à l'âme de l'univers qui est de son

genre. Les Stoïques, que l'âme sortant du corps, si elle est

débile, comme celle des ignorants, demeure avec la consistance du

corps: & la plus forte comme est [298] celle des sages & savants,

dure jusqu'à l'embrasement. Démocrite, Epicure, qu'elle est

corruptible, & qu'elle se corrompt quand & le corps. Pythagore,

Platon, que la partie raisonnable est incorruptible, pour ce que

l'âme n'est pas Dieu, mais bien l'ouvrage de Dieu éternel. Et que

la partie [ir]raisonnable (18) est corruptible.
 
 

CHAPITRE VIII. Des sentiments & choses sensibles.
 
 

Que c'est du sentiment & en combien de sortes il se prend.
 
 

Les Stoïques définissent ainsi le sentiment: sentiment est la

compréhension ou apréhension de l'organe sensible: mais sentiment

se prend en plusieurs sortes, car on entend l'habitude, ou la

faculté naturelle, ou l'action de sentir, & l'imagination

apréhensive: qui se font tous par le moyen de l'organe sensitif, &

la huitième partie même de l'âme, la principale qui est le

discours de la raison, par lequel toutes les autres consistent.

Derechef on appelle les instruments sensitifs les esprits

intellectuels, qui partant de l'entendement s'étendent jusqu'à

tous les organes. Epicure: Le sens, dit-il, est une partie de

l'âme, qui est la puissance de sentir, dont procède l'effet du

sentiment: tellement qu'il définit le sentiment en deux sortes, la

puissance, & l'effet de sentir. Platon définit le sentiment être

une société du corps & de l'âme, pour les choses extérieures: car

la faculté naturelle de sentir est de l'âme, l'organe est du

corps, & l'un & l'autre apréhendent les choses extérieures, par le

moyen de l'imaginative, qui est en la phantasie. Leucippe,

Démocrite, tiennent que le sentiment & l'intelligence se font par

le moyen des images qui nous viennent de dehors, parce que ni l'un

ni l'autre ne se fait sans l'occurence d'une image.
 
 

CHAPITRE IX. Si les sentiments sont véritables & les imaginations.
 
 

Les sentiments sont véritables & les imaginations aucunes fausses,

autres véritables.
 
 

Les Stoïques tiennent que les sentiments sont véritables, & que

des imaginations aucunes sont fausses, & autres véritables.

Epicure, que tout sentiment & toute imagination est véritable,

mais quant aux opinions que les unes sont vraies, les autres

fausses: & que le sentiment se déçoit en une sorte seulement,

c'est à savoir quant aux choses intelligibles: mais l'imagination

en deux manières, parce qu'il y a imagination tant des choses

sensibles, que des intelligibles. [299] Empédocle, Héraclite que

les particuliers sentiments se font selon la proportion des pores,

étant l'objet de chaque sens bien disposé.
 
 

CHAPITRE X. Combien il y a de sentiments.
 
 

Cinq sentiments auxquels Aristote ajoute le sens commun.
 
 

Les Stoïques, qu'il y en a cinq proprement, la vue, l'ouïe,

l'odorement, le goût, l'attouchement. Aristote ne dit pas qu'il y

en ait six, mais bien met-il un sens commun qui juge des espèces

composées, auquel tous les autres sens particuliers rapportent

leurs propres imaginations, là où le passage de l'un à l'autre,

comme de la figure au mouvement, se montre. Démocrite dit, qu'il

y a plus de sentiment és bêtes brutes, & és dieux, & és sages.
 
 

CHAPITRE XI. Comment se fait le sentiment & l'intelligence.
 
 

Comment se fait la mémoire. D'où vient l'expérience, & que c'est.

Des pensées, & de l'intelligence.
 
 

Les Stoïques disent, que quand l'homme est engendré, il a la

principale partie de l'âme, qui est l'entendement, ni plus ni

moins qu'un papier prêt à écrire, dedans lequel il écrit chacun de

ses pensements: & la première sorte d'écriture est par les

sentiments, car ceux qui ont senti quelque chose, comme pour

exemple, ceux qui ont vu une blancheur, après qu'elle s'en est

allée, ils en retiennent la mémoire: & après qu'ils ont assemblé

plusieurs mémoires semblables, & de même espèce, alors ils disent

qu'ils ont expérience: car expérience n'est autre chose, qu'un

amas & multitude de plusieurs semblables espèces. Mais quant aux

pensées, les unes sont naturelles, qui se font en la manière que

nous avons jà dit auparavant, sans artifice: les autres se font

par étude & par doctrine, & celles-ci sont proprement celles qui

s'appellent pensées, les autres se nomment anticipations, & la

raison de laquelle, & pour laquelle nous sommes nommés

raisonnablement, se fait par ces anticipations-là, en la première

septaine d'ans, & est l'intelligence de la conception de

l'entendement de l'animal raisonnable: car l'imagination quand

elle vient à donner en l'âme raisonnable, alors elle s'appelle

intelligence, ayant pris la dénomination de l'entendement. C'est

pourquoi ces imaginations ne tombent point és autres animaux: mais

les imaginations qui se présentent aux dieux & à nous, celles-là

seules sont proprement imaginations, & celles qui se présentent à

nous sont imaginations en général [300] & pensements en spécial:

comme des têtons & des écus à part considérés en soi sont têtons &

écus, mais si vous les baillez pour le louage d'un navire, alors

outre ce qu'ils sont deniers, encore sont-ils naulages (19).
 
 

CHAPITRE XII. Quelle différence il y a entre imagination,

imaginable, imaginatif, & imaginé.
 
 

Que c'est qu'imagination. Phantasie. Imaginable que c'est.

Imaginatif que c'est. imaginé que c'est.
 
 

Chrysippe dit, qu'il y a différence entre ces quatre choses.

L'imagination donc est une impression qui se fait en notre âme,

qui se montre à soi-même ce qui l'a imprimée: comme quand par la

vue nous contemplons une blancheur, c'est une passion ou affection

qui s'engendre par la vue en notre âme, & pouvons dire que la

blancheur en est le sujet ou objet qui nous émeut: semblablement

aussi par l'odorement & par l'attouchement, & s'appelle cette

imagination Phantasie, qui est dérivée de ce mot Phaos, lequel

signifie clarté. Car ainsi comme la lumière se montre soi-même, &

tout ce qui est compris en icelle: aussi la phantasie ou

imagination se montre soi-même, & ce qui l'a faite. Imaginable

est ce qui fait l'imagination, comme le blanc, le froid, & tout ce

qui peut émouvoir l'âme, cela est ce qui s'appelle imaginable.

Phantastique ou imaginatif est une attraction en vain, une passion

ou affection de l'âme, qui ne provient d'aucun objet imaginable,

comme de celui qui escrime à son ombre, & qui mène les mains en

vain, car à la vraie imagination & phantasie il y a un sujet qui

se nomme imaginable, mais à l'imaginatif ou phantastique il n'y a

aucun sujet ni objet. L'imaginé ou le phantasme est ce à quoi

nous sommes attirés d'une attraction vaine, ce qui se fait en ceux

qui sont furieux & malades d'humeur mélancolique, comme Oreste en

la Tragédie d'Euripide,
 
 

Je te supplie ne pousse contre moi,
 
 

O Mère, hélas! ces femmes que je vois
 
 

Pleines de sang, & de serpents grouillantes
 
 

Les voici près, les voici tressaillantes.
 
 

Il dit ces paroles étant furieux, & ne voit rien, mais il pense

voir seulement: & pourtant Electra lui répond,
 
 

Demeure cois en ton lit misérable,
 
 

Tu pense voir ce qui n'est véritable.
 
 

comme aussi Théoclymenus en Homère. [301]
 
 

CHAPITRE XIII. De la vue, & comment nous voyons.
 
 

Quatre diverses opinions sur cette question.
 
 

Démocrite, Epicure, estimaient que la vue se fait par sortie &

émission des espèces & images: les autres par quelque éjection de

rayons, retournant vers notre ¦il après l'occurence de l'objet.

Empédocle a mêlé les images parmi les rayons: appelant cela, les

rayons de l'image composée. Hipparque tient, que les rayons

lancés de l'un & l'autre de nos yeux, venant à embrasser de leurs

bouts, ni plus ni moins que par attouchement des mains,

l'extériorité des corps objectés emportent la compréhension à la

puissance visive. Platon, que c'est par conjonction de lueur,

dautant que par lueur des yeux se répand jusqu'à quelque espace

emmi l'air de pareille nature, & la lueur issant (20) des corps aussi

vient à fendre l'air, qui est entre deux, étant de soi-même fort

liquide & muable avec le feu de la vue: c'est ce qu'on appelle la

conjointe lueur & radiation des Platoniques.
 
 

CHAPITRE XIV. Des apparences des miroirs.
 
 

Comment sa sale (21) que nous voyons dans les miroirs.
 
 

Empédocle, par les défluxions qui se concréent sur la superficie

du miroir, & s'achèvent par le feu qui sort du miroir, &

transmuent quand & quand l'air qui est au devant, par lequel se

meuvent les fluxions: Démocrite, Epicure, que les apparences des

miroirs se font par l'arrêt des images lesquelles partent de nous,

& se concréent sur le miroir par réversion: les Pythagoriens par

réflexion de la vue, parce que la vue s'en va étendre jusques

contre le miroir, & étant arrêtée par l'épaisseur, & rebattue par

la polissure de l'objet du miroir, elle s'en retourne en soi-même,

ni plus ni moins que quand nous étendons la main, & puis la

ramenons vers l'épaule.
 
 

On peut se servir & accomoder de toutes ces opinions, quant à la

question, Comment nous voyons.
 
 

CHAPITRE XV. Si les ténèbres sont visibles.
 
 

Il conclut que les ténèbres sont visibles
 
 

Les Stoïques, que les ténèbres sont visibles, parce que de la vue

il sort quelque lueur qui les enveloppe: & ne ment point la

vision, car elle voit certainement & à la vérité [302] qu'il y a

ténèbres. Chrysippe dit que nous voyons par la tension de l'air

qui est entre deux, lequel étant poingt par l'esprit visif, qui

passe depuis la principale partie de l'âme jusqu'à la prunelle, &

après qu'il a donné dedans l'air prochain, il se tend en forme de

Pyramide, quand l'air est de même nature que lui: car il flue des

deux yeux des rais qui sont comme feu, non pas noirs ni nébuleux:

& pourtant les ténèbres sont visibles.
 
 

CHAPITRE XVI. De l'Ouïe.
 
 

Comment se forme l'ouïe.
 
 

Empédocle, dit, que l'ouïe se fait quand l'esprit vient à donner

dedans la concavité de l'oreille tournée en forme de vis, laquelle

il dit être suspendue au dedans de l'oreille, ni plus ni moins

qu'une cloche, & battue. Alcméon tient que nous oyons par le vide

qui est au dedans de l'oreille: car il dit, que c'est cela qui

résonne quand l'esprit donne dedans, pource que toutes choses

vides sonnent: Diogène, que c'est quand l'air qui est dedans la

tête vient à être touché & remué par la voix: Platon & ses

sectateurs disent, que l'air de dedans la tête est frappé, & que

le rebrisement se fait jusqu'à la partie principale où est la

raison, & ainsi se forme le sentiment de l'ouïe.
 
 

CHAPITRE XVII. De l'Odorement.
 
 

Comment nous odorons.
 
 

Alcméon est d'avis, que la raison, principale partie de l'âme, est

dedans le cerveau,& que par icelle nous odorons; en attirant les

senteurs par la respiration: Empédocle, que quand & les

respirations des poumons, l'odeur se coule aussi dedans. Quand

donc la respiration est empêchée à cause l'aspérité, nous ne

sentons point les odeurs, comme ceux qui sont enrhumés.
 
 

CHAPITRE XVIII. Du goût.
 
 

Comment se fait le goût.
 
 

Alcméon, que par l'humidité & la tiédeur avec la mollesse de la

langue, sont distinguées les saveurs: Diogène, par la rareté & la

mollesse, pource que les veines du corps se viennent aboutir en

elle; & les saveurs se répandent étant tirés au sentiment & à la

principale partie de l'âme, ni plus ni moins que par une éponge.

[303]
 
 

CHAPITRE XIX. De la Voix.
 
 

Que c'est que la voix, & comme elle se fait.
 
 

Platon définit la voix, esprit qui par la bouche est âme née de la

pensée, & un frappement de l'air qui passe à travers les oreilles,

le cerveau & le sang, jusqu'à l'âme: & appelle-on aussi

abusivement & improprement voix és animaux irraisonnables, & és

créatures qui n'ont point d'âme, comme sont les hennissements des

chevaux, & les sons, mais proprement il n'y a voix que celle qui

est articulée, pource qu'elle déclare ce qui est dans la pensée.

Epicure tient que la voix est un flux, envoyé par les choses qui

parlent, ou qui sonnent, ou qui bruient, & que ce flux-là se rompt

en plusieurs fragments de même figure que sont les choses dont

elles partent, comme rondes des rondes, & triangles des triangles,

& que ces fragments-là venant à tomber dedans les oreilles, se

fait le sentiment de la voix: ce qui se voit manifestement és

ombres qui s'écoulent, & és foulons qui soufflent de l'eau contre

les draps & habillements. Démocrite tient, que l'air même se

rompt en petits fragments de même figure, c'est à dire, les ronds

avec les ronds, & qu'ils coulent avec les fragments de la voix:

car, comme dit le proverbe,
 
 

Auprès du geais toujours le geais se perche,
 
 

Et le pareil toujours son pareil cherche.
 
 

car même sur la grève au rivage de la mer les cailloux de même &

semblable forme se trouvent ensemble, en un endroit ceux qui sont

ronds, en l'autre ceux qui semblent longuets: pareillement aussi

quand on crible ou qu'on vanne les grains, toujours se rangent

ensemble ceux qui sont de même forme, de manière que les sèves se

mettent à part, & à part les poids chiches. Mais on pourrait

alléguer contre ceux-là, Comment est-ce que peu de fragments

d'esprit & de vent peuvent remplir un théâtre capable de dix mille

hommes? Les Stoïques disent que l'air n'est point composé de

menus fragments, mais qu'il est contenu partout, sans avoir rien

de vide, mais quand il est frappé d'un esprit, c'est à dire, d'un

vent, il va ondoyant chercher droits infiniment, jusqu'à ce qu'il

ait rempli ce qu'il y a d'air à l'environ, ni plus ni moins qu'on

voit en un étang où on a jeté une pierre dedans: car l'eau se meut

en cercle plat, & l'air se remue en boule ronde. Anaxagore que la

voix se fait, le vent venant à frapper contre un air résistant &

ferme, retournant le contre-coup jusqu'aux oreilles, qui est la

manière par laquelle se forme aussi le retentissement de la voix,

qui s'appelle Echo. [304]
 
 

CHAPITRE XX. Si la voix n'a point de corps, & comment se forme le

retentissement de l'Echo.
 
 

Quel est le corps de la voix. Comment se fait l'Echo;
 
 

Pythagore, Platon, Aristote, tiennent qu'elle n'a point de corps,

d'autant que ce n'est pas air: mais une forme en l'air & sa

superficie par un certain battement: or est-il que toute

superficie est sans corps: vrai est qu'elle se meut & se remue

avec les corps, mais quant à elle sans point de doute elle n'a

aucun corps: comme en une verge qu'on plie, la superficie ne

souffre aucune altération quant à elle, ains est la matière qui

plie. Mais les Stoïques tiennent, que la voix est corps: car tout

ce qui opère, & qui fait, est corps: or est-il que la voix fait &

opère, car nous l'oyons, & la sentons quand elle nous donne à

l'ouïe, & s'imprime ni plus ni moins qu'un cachet dedans de la

cire. Davantage tout ce qui nous émeut, & qui nous fâche est

corps: or l'harmonie de la musique nous émeut, & le discord nous

fâche. Qui plus est tout ce qui se remue est corps: or la voix se

remue, & vient donner dedans des lieux lisses & polis, par

lesquels elle est renvoyée & rebattue, ainsi qu'on voix d'une

balle qu'on jette contre une muraille, tellement que dedans les

Pyramides d'Egypte, une voix lâchée rend quatre & cinq

retentissements.
 
 

CHAPITRE XXI. D'où est-ce que l'âme sent, & qu'est-ce que sa

principale partie.
 
 

Le discours de la raison principale partie de l'âme, dont

s'écoulent sept autres parties, qui s'étendent par le reste du

corps.
 
 

Les Stoïques disent, que la partie la plus haute c'est la

principale partie & la guide des autres, celle qui fait les

imaginations, les consentements, les sentiments, les apétitions, &

c'est ce qu'on appelle le discours de la raison. Or d'icelle

principale, il y a sept parties qui en sortent, & s'étendent par

le reste du corps, ni plus ni moins que les bras d'un poulpe.

Desquelles sept parties les sens naturels en font les cinq, comme

la vue, l'odorement, l'ouïe, le goût, & l'attouchement: desquels

la vue est l'esprit, qui tend depuis la raison & principale

parties jusques aux yeux: & l'ouïe, l'esprit qui tend depuis

l'entendement jusques aux oreilles: l'odorement, l'esprit qui

passe depuis la raison jusques aux naseaux: le goût, l'esprit

partant de la principale partie, & passant jusques à la langue:

l'attouchement, esprit prenant [305] depuis la principale partie

jusques à la superficie sensible des choses accomodées à

l'attouchement: des autres, le sixième s'appelle la semence, qui

est un esprit prenant depuis la principale partie jusques aux

génitoires: & le septième ce que Zénon appelle vocale, que nous

disons voix, qui est un esprit qui prend depuis la principale

partie jusques au gosier, & à la langue, & autres instruments

appropriés à la voix: & au reste, la principale partie est logée

comme au milieu de son monde, dedans la tête ronde en forme de

boule.
 
 

CHAPITRE XXI. De la respiration.
 
 

Quand & comment se fait la respiration, & sur ce point diverses

opinions. I. d'Empédocle. 2. d'Asclépide. 3. d'Hérophile.

Quatre mouvements du poumon.
 
 

Empédocle estime que la première respiration du premier animal se

fait, quand l'humidité qui est aux petits enfants venant à naître se

retire, & que l'air de dehors vient à lui succéder entrant dedans

les vaisseaux entre ouverts: mais puis après la chaleur naturelle

poussant déjà au dehors cette aérée pour s'évaporer la respiration

se fait: & aussi quand elle se retire derechef au dedans, alors se

fait l'inspiration, parce qu'elle donne entrée à la substance

humide. Au reste, quant à celle respiration qui se fait maintenant,

qu'elle se fait quand le sang se meut vers l'extérieure superficie

du corps, & par cette fluxion espreint (22) & chasse la substance aérée

par les narines: & l'inspiration quand il s'en retourne au dedans, y

r'entrant l'air quand & quand par les raretés que le sang a laissées

vides: & pour le donner à entendre donne l'exemple de la clepsydre

ou horologe à eau. Asclépide compose le poumon comme un entonnoir,

& suppose que la cause de la respiration soit l'air délié & de

subtiles parties qui est dans la poitrine, vers lequel flue & se rue

celui de dehors qui est de grosses & épaisses parties, mais il en

est derechef repoussé, ne pouvant plus la poitrine ni le recevoir,

ni être sans: & demeurant toujours un peu de gros air dedans la

poitrine, parce que le tout n'en avait pas été chassé, celui de

dehors se rejette derechef sur celui-là qui est au dedans, pouvant

supporter sa pesanteur: & compare cela à des ventouses. au

demeurant quant à la volontaire respiration il dit qu'elle se fait

parce que les petits trous qui sont dedans la substance du poumon se

restreignent, & que le col d'icelui se resserre, car ces choses-là

obéissent à notre volonté: Hérophile laisse les facultés mouvantes

des corps aux nerfs, aux artères & aux muscles: si dit, qu'il n'y a

que le poumon qui naturellement apète le mouvement de dilatation &

de contraction, & les autres parties du corps conséquemment: & [306]

pourtant que c'est action propre au poumon, que de tirer le vent de

dehors, duquel étant rempli, la poitrine, qui est tout joignant,

fait une autre attraction par une seconde appétition, déviant en soi

le vent: puis quand elle en est aussi remplie, n'en pouvant plus

attirer, elle refunde (23) derechef dans le poumon ce qu'elle en a de

trop, par lequel il est rejeté au dehors, s'entresecourant ainsi les

parties du corps: car quand il se fait dilatation du poumon,

contraction se fait de la poitrine, se faisant ainsi la replétion &

l'évacuation par mutuelle participation l'un de l'autre, tellement

qu'il y a quatre mouvements du poumon. Le premier par lequel il

reçoit l'air de dehors: le second, par lequel il transfunde (24) dedans

la poitrine cet air qu'il a attiré & reçu de dehors: le troisième,

par lequel il reçoit derechef en soi celui qui est espreint de la

poitrine: & le quatrième par lequel il renverse dehors encore

celui-là qui était retourné dedans lui. Et de ces mouvements-là il

y en a deux qui sont dilatations: l'un qui pousse l'air dehors de

tout le corps: l'autre qui le pousse de la poitrine dedans le

poumon: & deux contractions, l'une quand la poitrine attire à soi le

vent, & l'autre quand le poumon atrait (25) l'air en sa concavité: & y

en a deux seuls dans la poitrine: l'un de dilatation, quand elle

attire: & l'autre de contraction, quand elle le rend.
 
 

CHAPITRE XXIII. Des passions du corps, & si l'Ame compatit en

sentant sa douleur.
 
 

De la sympathie de l'âme & du corps.
 
 

Le Stoïques disent que les passions se font és parties dolentes mais

les sentiments en la principale partie. Epicure que les passions &

les sentiments se font tous deux és parties dolentes parce que la

raison & principale partie de l'âme, ce dit-il, est impassible:

Straton au contraire, & que les passions & les sentiments se font en

la partie principale, & non pas és parties dolentes, parce que la

patience se meut en elle aussi bien és choses terribles &

douloureuses, comme és timides & magnanimes.
 

  LIVRE CINQUIEME

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